samedi 13 mars 2010

Xavier Grall


"L'éditeur René Rougerie, fondateur en 1948 des éditions Rougerie, spécialisé dans la poésie, est décédé dans la nuit à Lorient, a-t-on appris auprès de son entourage.
En plus de 60 ans, René Rougerie a publié les plus grands poètes français, de Boris Vian à Max Jacob, en passant par René-Guy Cadou, Xavier Grall ou Joe Bousquet. René Rougerie était connu pour sillonner la France afin de livrer lui-même les dernières productions de sa maison. Il était ainsi venu à Lorient déposer des exemplaires d'un de ses derniers livres publiés, "Litanies de la mer" de Saint-Pol-Roux, par lequel il achevait la publication des écrits du poète.
Dans son "manifeste de liberté", René Rougerie écrivait: "je publierai donc tout ce que j'aime. Revendiquant même le droit de me tromper. Refusant toutes les étiquettes, ne me laissant enfermer dans aucun système. Capable d'aimer aussi bien une poésie lyrique que celle concise où chaque mot porte son poids". Avec "Litanies de la mer", le dernier ouvrage publié par Rougerie Editions est "Oeuvre poétique" de Xavier Grall."
AFP, le 12 mars 2010.

C'est en lisant cet article que j'apprends que l'éditeur vient de publier dans son intégralité l'oeuvre poétique de Xavier Grall. Il faudrait aussi penser à rééditer ses livres : L'inconnu me dévore, Les vents m'ont dit, Les billets d'Olivier... Xavier Grall est mort le 11 décembre 1981. Il demeure pour moi un écrivain majeur et je regrette qu'on le qualifie d'écrivain breton ce qui le confine dans un régionalisme alors qu'il fut aussi longtemps le journaliste de la Chronique du Logéco (sous le pseudonyme d'Olivier) habitant alors un immeuble à Sarcelles (d'où le nom de "Logéco") et qui paraissait chaque semaine dans La Vie (ce que j'appris en lisant sa biographie). Il collabore aussi au Monde et aux Nouvelles Littéraires. Lorsque je vivais à Paris je n'avais entendu parler de lui qu'avec son Cheval couché écrit en réponse au Cheval d'orgueil de Pierre Jakez Hélias! Autant n'avais-je jamais réussi à lire ce dernier jusqu'au bout, autant Le cheval couché m'avait éblouie. C'était une réponse véhémente mais poétique. Dans sa préface il annonce la couleur :
"Je ne suis pas cet écrivain cantonal, cet Hélias qui n'a jamais ouvert la bouche que pour la Bigoudénie. Je rassemble dans ma vision, des pays divers, un pluralisme végétal et spirituel, une fédération de clans, un réseau de baies.
[...]
Bretagne, multiple dans son unité secrète
."


Puis le livre commence ainsi :
"Ce jour-là, j'ai tout envoyé promené : Sarcelles, les ambitions littéraires, journalistiques, les petits fours du Seuil, les intrigues professionnelles, le bus, le métro, la rame de la gare du Nord. J'avais faim. J'avais faim des arbres, des feuilles, des grèves. je voulais entendre rouler le parler breton dans ma tête, entendre racler rugueusement les tables des tavernes et rencontrer le temps des horloges. Et cette envie de chanter! Cette fureur. A Paris, on ne chante que dans le chrome des juke-boxes.
[...]
J'abandonnais la souveraineté de la méthode et la mesure du classicisme pour m'en venir aux origines, aux signes, aux sens. Il faisait beau sur Paris, ce jour de juillet, quand je quittais la capitale pour toujours, avec ma femme, mes enfants, le chien, les bagages. Adios! Adieu Saint-Denis ou repose la reine Anne, adieu la Seine de jadis et de naguère, les librairies du Quartier Latin (Ah! Nietzsche, acheté chez José Corti, l'éditeur de Gracq) adieu les amours et les camarades. Adieu les années françaises, et la délicieuse effervescence d'un journalisme que j'avais mené activement.
Au fait, j'allais à la poésie corps et âme. Métamorphose! La quarantaine, c'est l'âge. Il était temps.
J'allais à la mer..."


Evidemment lorsqu'à mon tour j'ai quitté Paris je me suis plongée dans tout ce qu'il avait écrit lorsqu'il vivait à Botzulan près de Pont-Aven, me nourrissant de sa fièvre amoureuse de sa Bretagne. Il y a chez ce poète breton la recherche éperdue d'un paradis perdu qui a pour nom la Bretagne et les traits d'une terre promise où couleraient le lait et le miel. Poète à la foi chrétienne mais profondément rebelle et révolté. Je n'avais pas sa foi mais je me sentais proche de son univers qui était celui de l'esprit, de la culture, du beau, du vrai.

Le 22 janvier 1981 (il est mort en décembre de cette année-là) il écrivait :

Flammes.
Seul, je suis seul devant la haute cheminée. La sève bouillonne et coule sur la pierre. Ma chienne Mélenn, allongée devant l'âtre, fixe la flamme, tout près, à s'y brûler. Un copain viendrait-il qu'il s'étonnerait de me voir ainsi, immobile et songeur, au centre du silence, dans la frileuse tranquillité de l'hiver.
Est-ce du silence? Doucement, le feu chante dans les souches incandescentes. Et par saccades brèves, le vent gronde. Il est passé au nord. Il fera plus froid.
Jeter un disque sur l'électrophone? Capter France-Musique? Non... J'écoute le silence religieusement tombé sur toutes les choses. Le silence est aux bruits ce que l'attente est aux êtres. Alors, j'attends. Qui? Quoi? Je ne sais pas.
[...]
Les vanneaux huppés ont dû arriver par la mer et se jeter sur les labours.
Lanza del Vasto est mort. Je l'avais naguère interviewé. C'est loin? Mon autre vie est loin derrière Botzulan, loin derrière moi. Ma fille Isabelle a gagné Paris pour y chercher un emploi. Que fait-elle? Avec qui est-elle? A quoi pense-t-elle? Isa, ne prends pas froid...
J'ai cinquante ans. Je suis devant la cheminée comme un épagneul devant ses nostalgies, un peu lâche, un peu triste. La vie s'en vient, la vie s'en va. La vie est une flamme. Et puis une braise. Et puis il reste des cendres.
Ce soir, il faudra que je dise à ma femme d'acheter du bois. beaucoup de bois. Pour beaucoup de flammes. Isabelle, je t'en prie, ne prends pas froid...


Xavier Grall, Les vents m'ont dit.J'aimais son visage anguleux, son regard fiévreux que j'ai croisé un jour à Port Manech. J'étais en vacances avec mon aimé, ce devait être en 1980; Xavier Grall était déjà très malade.

Et pour le découvrir cette biographie illustrée de très belles photos :
Yves Loisel, Xavier Grall, éditions Jean Picollec, 1989.