lundi 31 décembre 2012

Le désir et la mort

"Évoluer, c'est céder à la fatalité"
Thomas Mann, Der Tod in Venedig


"Tu es vieux Gustav, et aucune impureté au monde
 n'est aussi impure que la vieillesse."











(Captures d'écran - Cliquer pour agrandir)

J'avais dû le voir dans les années 70 et ne l'avais pas revu depuis. J'ai emprunté le DVD de Mort à Venise à la médiathèque et l'ai regardé hier soir. A vrai dire, je ne me souvenais que de la fin. Quel choc en le revoyant : esthétique, pathétique, magnifique. La veille j'avais regardé le "bonus" avec des interviews qui nous permettent de comprendre certains remaniements de Visconti par rapport au roman de Thomas Mann dont il s'est inspiré. Gustav von Aschenbach dans le roman de Mann est écrivain, Visconti en a fait un musicien. L'on sait que Thomas Mann est un écrivain féru de musique;  alors qu'il séjourne à l'Hôtel des Bains au Lido, il apprend la mort de Gustav Mahler et c'est durant cette période qu'il écrira La Mort à Venise.

"Mais c'est aussi à Venise qu'est mort, en 1883, Richard Wagner à qui Mann dédie un essai durant la même période. Enfin, c'est sur la plage du Lido que Mann voit se réveiller son homosexualité latente devant la beauté d'un jeune noble polonais de quatorze ans."

"Benjamin Britten compose en 1973 un opéra intitulé Death in Venice. Les similitudes entre Visconti et Britten sont intéressantes. Tous deux ont une vision très musicale de l'œuvre de Thomas Mann, une musique forcément mélancolique, ce qui peut être rapproché du fait que le musicien, comme le cinéaste, tous deux homosexuels, déjà âgés, meurent la même année, en 1976, peu de temps après avoir créé leur œuvre, comme s'ils s'étaient eux aussi identifiés au héros de la nouvelle."

"L'influence dionysiaque est palpable dans l'œuvre de Mann. Le héros est pris d'une véritable fièvre dionysiaque, extasiante qui va le mener à sa perte. Il rappelle ainsi la proche parution de La naissance de la tragédie de Nietzsche, qui analyse les composantes dionysiaques de la tragédie, opposées à la part apollinienne de l'œuvre."

(Sources Wikipédia)

Cette œuvre que Mann désigne comme "une tragédie" est une réflexion sur la mort, l'amour, le mal, l'art et la culture.

Je ne me souviens pas lorsque j'ai vu ce film la première fois, avoir été troublée, enthousiasmée comme je l'ai été hier soir. Cette tragédie mise en scène par Luchino Visconti est exacerbée par les images, les décors, les personnages et bien sûr la musique de Mahler, l'adagietto de la 5e Symphonie qui rajoute à la ferveur, à la mélancolie de la tragédie.
Dirk Bogarde dans le rôle d'Aschenbach est admirable... comme toujours.

samedi 29 décembre 2012

Nighthawks et la muse...


"La réalisatrice Sophie Barthes revisite le tableau énigmatique d’Edward Hopper Nighthawks (1942). Dans son atelier, alors qu’il achève l’une de ses œuvres, l’artiste est interpellé par sa muse s’ennuyant dans sa toile. Soudainement, elle quitte le cadre pour rejoindre le bar des Noctambules..."



Et, d'autres courts métrages vu par... ici.

vendredi 28 décembre 2012

Une éternité de l'instant


Parfois il faut savoir la poser cette caméra parce qu'à certains moments
il faut vivre l'instant et non pas, filmer l'instant.

La mort : je la sais, je la connais, je l'ai vue, je la rêve, je me la rêve,
je me vois.
Dire que j'ai pas peur? Probablement si, j'ai des peurs, mais pas des paniques?
En tous cas on sait pas et ce que j'ai appris dans mes voyages
c'est : tant qu'on ne sait pas on ne peut pas en avoir peur.



Quelques extraits : mauvaise image, mauvais son. Mais "qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse". J'avais enregistré sur K7 (oui j'ai encore un magnétoscope et une vieille télé [Rires]) un documentaire que j'ai visionné hier soir sur cet acteur-écrivain. Dommage que la vidéo ne repasse pas sur la toile. Cette fois ma K7 est morte et mon magnétoscope ne va pas tarder à me lâcher aussi. Ce sera l'occasion de réinvestir dans du matériel de notre époque. Il faut savoir tout de même, que mon enregistrement est bien net sur mon écran de télé; c'est le fait de filmer ensuite mon écran avec mon appareil photo qui donne cette image médiocre. En fait, je ne regarde pratiquement jamais la télévision en temps réel. J'enregistre ce qui m'intéresse.

mercredi 26 décembre 2012

La petite marchande d'allumettes

Gabrielle 7 ans.

- Toi, est-ce que tu aimerais bien mourir?
Des fois oui des fois non.
Moi j'aime bien la vie, en fait j'adore la vie.
Des fois on doit mourir parce que son corps est trop fatigué de vivre, parce qu'on a pas assez à manger comme la petite fille aux allumettes et des fois... ça c'est rare... on a envie se suicider, on a envie de mourir. 
Je pense qu'il y a plus de gens sur la terre qui ont envie de vivre plutôt que mourir.
Un jour quand ton corps il sera très très fatigué, et pour reposer ton corps ça suffira pas de dormir, alors il faudra mourir. Et t'as pas besoin te tuer, t'as pas besoin te suicider, ton corps y va s'arrêter de vivre tout seul.
[...] Mes rêves... c'est d'être scientifique ou de partir sur la lune ou d'être chef d'orchestre ou des choses comme ça.
Pour moi entendre de la musique ça fait du bien à mon corps. La musique ben c'est un peu comme la vie et moi j'aime beaucoup la musique.; mon coeur y ressent un peu comme s'il était déjà mort et qu'il est en train de revivre. Mais de toute façon ben il est pas prêt de mourir... mon coeur... parce que j'ai que 7 ans et que je connais pas de gens qui sont morts à 7 ans.
En fait je sais pas trop quand je vais mourir. Mais personne ne sait pas trop quand il va mourir en fait. Quand tu meurs c'est un peu comme quelqu'un qui avait un couteau et qu'il plantait dans ton coeur. Et... c'est comme ça que je ressens la mort."

Gabrielle (que l'on peut entendre à partir de la 14e minute dans le reportage).



Elise Andrieu © DR


Un très joli moment à écouter sur France Culture avec Gabrielle, cette petite fille de 7 ans qui, déjà, fait de la philosophie sans le savoir sur la vie, la mort, le suicide, avec une lucidité, une spontanéité étonnantes et avec générosité. Le reportage se passe dans des écoles Montessori (La Baleine et L'Horizon).*

"Ils ont entre 5 et 9 ans, ont entendu le conte d'Andersen, La petite marchande d'allumettes et expliquent à leur manière ce que veut dire pour eux la pauvreté, l'indifférence et la mort, mais aussi l'espoir, la chaleur et le rêve."

* "Selon Maria Montessori, chaque enfant est unique. Il a sa personnalité propre, son rythme de vie, ses qualités et ses difficultés éventuelles. Les enfants traversent tous des « périodes sensibles (en) » :
Il s'agit de sensibilités spéciales en voie d'évolution, des moments de la vie de l'enfant où celui-ci est tout entier « absorbé » par une sensibilité particulière à un élément précis de l'ambiance.
Ce sont des périodes passagères, transitoires ; elles se limitent à l'acquisition d'un caractère déterminé ; une fois le caractère développé, la « sensibilité » cesse. Il est donc primordial que l'ambiance (l'environnement) offre au bon moment à l'enfant les moyens de se développer en utilisant ces périodes sensibles."

Cela m'a ramenée à mes jeunes années professionnelles avant lesquelles j'effectuais un stage dans un Jardin d'enfants Montessori à Meudon. J'ai pu ensuite mettre en pratique cette merveilleuse pédagogie dans une école près de la Sorbonne. Je n'ai "enseigné" que quatre ans et la vie m'a fait ensuite prendre d'autres voies...

mardi 25 décembre 2012

La dernière promenade...


... eut lieu le 25 décembre 1956. Oui, j'y pense, à chaque Noël.

"La promenade [...] m’est indispensable pour me donner de la vivacité et maintenir mes liens avec le monde, sans l’expérience sensible duquel je ne pourrais ni écrire la moitié de la première lettre d’une ligne, ni rédiger un poème, en vers ou en prose. Sans la promenade, je serais mort et j’aurais été contraint depuis longtemps d’abandonner mon métier, que j’aime passionnément. Sans promenade et collecte de faits, je serais incapable d’écrire le moindre compte rendu, ni davantage un article, sans parler d’écrire une nouvelle. Sans promenade, je ne pourrais recueillir ni études ni observations."

Robert Walser, in La Promenade.

La dernière promenade date de la Noël 1956. Au matin, Robert Walser, auteur de L’Institut Benjamenta, des Enfants Tanner, du Commis, de Sur quelques-uns et sur lui-même, de Retour dans la neige, de La Promenade, part seul en direction du Rosenberg. C’est sur un chemin de neige que deux écoliers le découvrent dans l’après-midi. « La tête, légèrement tournée sur le côté, le promeneur offre une image parfaite de la paix de Noël. Sa bouche est ouverte ; on dirait que l’air hivernal, pur et frais, pénètre encore en lui », écrira Carl Seelig.

(Source : remue.net)



lundi 24 décembre 2012

***

« Ce Noël, je le passe tout seul à Bâle, car j’ai décliné les cordiales invitations de Tribschen*. Il me faut du temps et de la solitude pour réfléchir une peu à mes 6 conférences et pour me concentrer… »
Nietzsche, Lettre à Erwin Rohde le 21 décembre 1871.

* Nietzsche avait passé à Tribschen chez les Wagner les deux Noëls précédents.

dimanche 23 décembre 2012

L'horizon, c'est ce soir

"Ne pas faire de projet à long terme.
L'horizon, c'est ce soir."

Alexandre Jollien dans De chair et d'âme.


Vu ce film hier; il va repasser sur Arte jeudi 27 décembre à 5 heures du matin. Une belle rencontre.  A enregistrer!

"Tétraplégique à la suite d'un accident de parapente, Philippe Pozzo di Borgo a inspiré le film «Intouchables». Handicapé après sa naissance, Alexandre Jollien est un philosophe attachant. Pour la première fois, ces deux cabossés de la vie ont accepté de se rencontrer pour mener un dialogue sur la différence, leurs différences, mais aussi ce qui les rassemble."






vendredi 21 décembre 2012

De Zuoz à Zarathoustra...

Je reviens sur le film-documentaire que j'ai vu samedi dernier : ZUOZ.




"Coulisses d'un microcosme.
Tourné en plein coeur de l'hiver, dans la neige et les brumes helvétiques, le documentaire explore au fil des jours les rites de l'internat et les rares transgressions qui s'y déroulent.
Ayant fréquenté une institution similaire pendant une partie de sa jeunesse, la réalisatrice capte avec un regard expert et une neutralité délibérée l'atmosphère de cet établissement sélect où performance, esprit d'équipe et fair-play sont officiellement de mise.
Une immersion dans l'intimité des jeunes mais aussi des adultes chargés de leur surveillance pour un quotidien au rythme immuable, dicté par des règles d'un autre âge, strictes et impersonnelles.
Aucune voix off ne commente ces fragments de vie saisis par la caméra, laissant ainsi la parole aux adolescents."
(Source : arte.fr)





Dans la région de l'Engadine, perdu au milieu des montagnes suisses, le Lyceum Alpinum Zuoz est un pensionnat réservé aux enfants de l'élite internationale. Daniella Marxer, une jeune réalisatrice autrichienne, s'y est immergée pour filmer un étonnant huis clos. 
Dans cette vieille bâtisse rouge aux volets bleus vivent des jeunes âgés de 10 à 20 ans, issus pour la plupart de familles influentes et fortunées.
On y parle l'allemand mais aussi beaucoup l'anglais.
Par un savant mélange de complicité et d'autorité, l'établissement est dirigé d'une main de fer.
À l'écart du monde extérieur et de leurs familles, les jeunes doivent en permanence répondre de leurs actes devant les surveillants et les membres de la direction, dont l'inflexible Dr Schmitt...



Cours, sport et devoirs, cigarettes, alcool et sexualité, tout est encadré et surveillé. Discipline nécessaire aux futurs chefs ?




"L'école privée de Zuoz apprend à des gosses de riches venus des quatre coins du monde, les vertus du libéralisme, de la discipline et de la civilité. Le régime de cet internat est sévère, à l’image des hautes montagnes enneigées qui l’entourent : pas d’écarts, pas d’excès, de la mesure en toutes choses. Faute de quoi, les punitions tombent. Les surveillants ont l’œil à tout, rien ne leur échappe dans ces longs couloirs sombres où les portes des chambres ne doivent pas être fermées à clé, où les filles et les garçons ne peuvent se voir que sur le pas de leur porte. Le moindre retard : dix pompes; un penchant trop fort pour les boissons alcoolisées : le renvoi. Peu de cours dans ce film centré sur le fonctionnement de l’internat, mais le bureau des peines ne chôme pas, qui distribue, avec une science consommée de la mise en scène et de la rhétorique, les leçons de morale, les interdictions de sortie, les avertissements et les ultimatums, et s’inquiète des élèves qui n’ont pas reçu leur lot de châtiment. Les élèves prennent le pli, bon gré mal gré, et s’entraînent à l’art difficile de cette vertu cardinale du libre-échange : la négociation, à commencer par celle des fautes et des peines. Ils y apprennent aussi, avec les subtilités de l’hypocrisie puritaine, l’existence de la pauvreté dans le monde, un ailleurs absolu dont la seule évocation suffit à resserrer les rangs. Si les maîtres sont sévères, les lycéens à la bouche en cœur sont cruels : ceux qui ne rentrent pas dans ce moule où l’argent est roi se voient exclus du groupe comme des brebis galeuses. " (Yann Lardeau)

J’ai beaucoup aimé ce documentaire sur cet internat situé dans un environnement magnifique. Certes, les élèves sont tous des privilégiés mais je n’ai pas trouvé l’encadrement aussi autoritaire qu’indiqué dans les critiques; ils ont tout de même une grande liberté d'expression et s’ils ont des parents milliardaires ils ont malgré tout les mêmes réactions que n’importe quel élève adolescent ou étudiant (l'angoisse de l'avenir en moins et ce n'est pas peu) : l’alcool est devenu le problème prédominant pour la jeunesse et n’est pas réservé aux classes modestes. Les limites sont définies ainsi et sont celles du libéralisme : "tout est autorisé, la seule limite est de ne pas nuire aux autres" ; ceux qui franchissent cette limite, après ultimatum, sont virés de l’établissement mais ils savent qu’avec leur expérience dans cet internat suisse ils seront reçus à bras ouverts dans les plus grandes universités réservées à  l'élite. C’était très intéressant. D'aucuns n'y verront que des gosses de riches éloignés de la réalité du monde mais non, on n'en ressort pas indifférent. Dommage que ce film reste confidentiel.

Pourquoi ai-je voulu le voir? Pour deux raisons :

La première parce que j'aime les Alpes, la Suisse, ses paysages; par cusiosité et parce que j'y ai quelques attaches. J'aime les films sur ces internats peuplés d'un monde si éloigné du nôtre, du mien en tout cas. Ce documentaire est filmé avec sobriété; dans ZUOZ, aucune fiction, le réel filmé au plus près.

La seconde raison et sans doute la plus importante, c'est le lieu de cet établissement : l'Engadine. Ce nom a fait tilt dès que je l'ai lu. Imprégnée de Nietzsche depuis plus d'un an j'ai eu envie de voir cette région où il venait se ressourcer une ou deux fois par an. Malheureusement, le film est un huis clos et on n'aperçoit le paysage qu'à travers les vitres  d'un train, paysage hivernal sous la neige, tandis que Nietzsche y séjournait en juillet/août pour y trouver un peu de la fraîcheur des montagnes l'été, à Sils Maria en Haute-Engadine.


 Les lacs de Salz, de Saint-Moritz, de Silvaplana et de Sils

Localité de Sils et son lac

"C’est entre les sommets et le lac de l’Engadine que le philosophe allemand a soulagé ses problèmes de santé, avant de rencontrer… Zarathoustra.
Mais, plus qu’une source d’inspiration, la localité grisonne de Sils-Maria a représenté pour Friedrich Nietzsche un lieu de fuite, loin de l’usante vie académique de Bâle.
«Il me semble avoir trouvé la terre promise.» Les paroles écrites par Nietzsche après sa première visite en Engadine ne laissent planer aucun doute sur le lien particulier que le philosophe allemand a noué avec la région.

L’Eden entre les sommets grisons.

Nietzsche arrive en Engadine à l’été 1879. "Il avait entendu dire que la région jouissait d’un climat sec et ensoleillé, des conditions idéales sous soigner sa maladie". Nietzsche souffre en effet depuis longtemps de fortes migraines. Se sachant sensible aux effets du climat, il voyage dans plusieurs régions de Suisse à la recherche du climat idéal. En vain.
C’est finalement la localité montagnarde de Sils-Maria qui lui apporte un certain bien-être. «Je me trouve ici dans l’endroit qui est de loin le plus confortable au monde; j’y éprouve une continuelle tranquillité et aucune pression», écrit-il dans une lettre à sa sœur.

Bien-être et inspiration

Après avoir abandonné son poste de professeur pour raisons de santé et découvert les vertus du climat de Sils-Maria, Nietzsche retourne périodiquement dans la localité grisonne entre 1883 et 1888.

«Il fut fasciné par les contrastes de la nature, avec des éléments typiquement méditerranéens se mélangeant à des éléments alpins».
Dans ce lieu aux nuances féeriques, Nietzsche loue une chambre dans une modeste maison située en bordure de forêt. Durant des promenades le long des sentiers, s’enfonçant dans les bois pendant des kilomètres, il retrouve sa propre source, son inspiration.
C’est sur les rives du lac de Silvaplana, dans un lieu qu’il décrit «à 6000 pieds au-dessus du niveau de la mer et plus haut au-dessus des choses humaines», que Nietzsche rencontre … Zarathoustra.
Sur la table de bois de sa chambre à coucher – conservée au 2e étage du musée – il commence ainsi à écrire les premières lignes de son oeuvre la plus fameuse.
C’est Ainsi parlait Zarathoustra, un texte dans lequel le philosophe allemand développe les idées de la mort de Dieu, du surhomme et de l’éternel retour. Ce texte sera décrit par quelques critiques littéraires comme «un livre à avoir sur sa table de nuit, durant toute sa vie»."

(traduction: Olivier Pauchard)


Lacs de Sils (arrière plan) et Silvaplana (1er plan)

Un autre texte ci-dessous tiré du Nietzsche de Daniel Halévy, j'ai envie de dire mon Nietzsche; c'est devenu mon livre de chevet.

Mes frères, prenez garde aux
heures où votre esprit veut parler
en symboles : c'est là qu'est
l'origine de votre vertu.
Ainsi parla Zarathoustra.


A la fin de juillet, Nietzsche, fuyant la chaleur, monta vers cette Engadine dont, deux ans auparavant, il s'était si bien trouvé, et s'installa de façon rustique dans le village de Sils-Maria. Il y eut, pour un franc par jour, une chambre chez un logeur; l'auberge voisine lui fournit ses repas. Grande solitude, le temps des "Palaces" n'était pas encore venu pour les hauts lieux, et Nietzsche, lorsqu'il se trouvait d'humeur causante, allait rendre visite à l'instituteur ou au curé, braves gens qui gardèrent le souvenir de ce professeur d'allemand si instruit, modeste et aimable.
Le professeur d'allemand masquait aux bonnes gens une émotion profonde. Plus que jamais il se sentait remué, intérieurement porté vers des cimes inconnues.
[...]
Une après-midi, cheminant à travers bois vers Silva-Plana, il s'assit auprès d'une puissante saillie rocheuse aujourd'hui consacrée à sa mémoire, non loin du lieu appelé Surléi. Les eaux du lac de Sils baignent la base de cette saillie qui, dans ses proportions réduites, garde la majesté d'une cime, aiguisée comme un pic. C'est là que Nietzsche fut ravi en extase.
Nous sommes renseignés par un texte sur le contenu de cette extase : Nietzsche eut la vision du Retour éternel. Il en établit ainsi la donnée : le cosmos est animé par un mouvement cyclique, qui est sans terme; les éléments qui le composent sont en nombre fini; le nombre des combinaisons dont ils sont capables l'est donc également; chaque instant, donc, est appelé à revenir. Voici Nietzsche, convalescent de longues douleurs, assis à l'ombre de ce roc, visité par l'extase. Dans tel nombre de jours, strictement limité, ce même Nietzsche, ce même convalescent, se retrouvera en ce même lieu, et sera visité par cette même extase.
[...] Nietzsche écrit :
"Que tout revienne sans cesse, c'est l'extrême rapprochement d'un monde du devenir avec un monde de l'être : sommet de la méditation".
Et la date de la signalisation de la note :
"Commencement d'août 1881, à Sils-maria, à 6500 pieds au-dessus de la mer et beaucoup plus au-dessus de toutes choses humaines!"


Daniel Halévy, in Nietzsche, chapitre La vision de Surléi.



La maison de Nietzsche et sa chambre, Sils-Maria

Pour voir de superbes paysages de l'Engadine de Nietzsche et des autres lieux où il a séjourné, je recommande vivement un très beau documentaire que l'on trouve en DVD (collection opus diffusion) dont on peut voir un extrait ici : L'expérience de Nietzsche de Yann KASSILE.

mercredi 19 décembre 2012

Accepter l'inacceptable, jamais

Dans la salle d'attente un vieil homme, une petite excroissance sur le crâne; une mère et sa petite fille, les deux obèses. Sur les murs des affiches d'information, de prévention sur les expositions au soleil "Stop à la toast attitude" et on y voit un toast brûlé, des conseils contre les démangeaisons des peaux sèches. Et moi, une vieille femme, selon les statistiques et d'après les faits divers. Depuis que j'ai lu un jour : "on a retrouvé une vieille femme morte" sur la plage et plus loin son âge était indiqué - le mien - j'ai eu un choc. Pas pour la morte, mais de prendre la vérité en face. J'étais donc vieille. Je me suis dit : c'est pas possible, le journaliste s'est trompé d'âge pour la vieille, euh... pour la morte. Et puis j'ai ruminé pendant des heures cette découverte : je suis maintenant une vieille femme. Je devais accepter l'inacceptable.

La visite bisannuelle de contrôle était OK! Il m'a dit : on se revoit dans un an ça suffira. Entre-temps  vérifiez vous-même et si vous voyez quelque chose d'anormal revenez me voir.

Pour changer, il pleuvait des cordes. J'ai repris ma voiture, soulagée de ne pas avoir à revenir dans six mois. Au croisement, un type essaie de me doubler par la droite estimant que je pouvais passer, mais une voiture arrivait qu'il n'avait pas vue. Il s'est arrêté net; bien fait! Je lui ai fait un geste de la main pour qu'il comprenne qu'il ne fallait pas aller plus vite que la musique; dans mon rétroviseur j'ai vu qu'il m'en faisait un autre... moins délicat. Tsss! Il m'a talonné pendant un moment puis arrivée à un feu rouge je me suis mise sur la file de gauche et lui à droite, il avait ouvert sa vitre : il m'a fait un grand sourire, il avait une barbichette et des yeux rieurs, à vrai dire une bonne tête. J'ai éclaté de rire en le regardant, ainsi nous nous excusions mutuellement de nos gestes d'énervés. Au feu vert il m'a fait un signe d'au revoir,  j'ai tourné à gauche, il a continué tout droit. Ça m'a mis de bonne humeur, je ne me sentais pas (trop) vieille, il n'y a pas de rapport mais bon, je n'ai vraiment plus l'habitude qu'on me fasse un sourire et encore moins qu'on me regarde, c'est tout de même agréable!


mardi 18 décembre 2012

On avance on avance



"A peine reçues les propositions de la mission Sicard, l'Elysée a annoncé qu'il saisissait le Comité consultatif national d'éthique. Celui-ci doit donner rapidement son avis sur trois points : les directives anticipées écrites par les patients, que la mission veut voir améliorées ; les « conditions strictes pour permettre à un malade conscient et autonome, atteint d'une maladie grave et incurable, d'être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie » ; les conditions pour « rendre plus dignes les derniers moments d'un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d'une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants ». Et l'Elysée a fait savoir qu'un projet de loi sera présenté au Parlement en juin 2013."
(Source, Le Nouvel Obs)

On tire un trait sur l'euthanasie mais une fenêtre s'ouvre  (à l'espagnolette, pas prête d'être ouverte en grand)) sur le suicide assisté, en prenant exemple sur ce qui est autorisé en Oregon.

"Le patient doit faire sa demande d’ordonnance létale devant un médecin, à deux reprises, de façon orale, avec au moins quinze jours d’intervalle entre les deux visites. Il doit ensuite faire une demande écrite au même médecin, en présence de deux témoins. Le médecin est autorisé à refuser. Le patient peut alors s’adresser à un autre professionnel pour reformuler sa demande. Si elle est acceptée, un deuxième avis médical est requis.
[...]
Une autre obligation posée par la loi est que le malade doit lui-même s’administrer les substances qui mettront un terme à sa vie. Si toutes les obligations légales de ce protocole ont été remplies, aucune poursuite ne peut être engagée contre les médecins qui auront prescrit les cocktails médicamenteux létaux, ni contre les pharmaciens qui les auront fournis."

On n'est pas sorti de l'auberge! Beaucoup de vent, du blablabla? Attendons juin 2013; je trouve qu'on progresse tout de même, un peu.

La phrase du jour pour finir sur une note gaie, enfin si on veut, dite par Jean-Luc Bideau ça l'était :

"J'ai de l'arthrose et je vous jure que c'est la dernière fois que je me bousille un genou pour vous demander en mariage"
Jean-Luc Bideau à Jeanne Moreau dans Bouquet final.




Un téléfilm gentillet sur une fin de vie assez joyeuse avec des acteurs en pleine forme : Jeanne Moreau, Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, Jean-Luc Bideau, Julie Depardieu...

"Ils sont décrépits, chenus, désargentés. Jules, Marie et Jean-Pierre forment un indéfectible trio d'amis, colocataires impécunieux bientôt expulsés. Aussi, quand Jean-Pierre entrevoit, lors d'une rencontre, la possibilité de devenir un grand-père de substitution rémunéré, Marie se résout à louer leurs services d'aînés sur Internet ! Effacés, les loyers impayés : en un tournemain, les retraités se métamorphosent en grands-parents tarifés.
Extravagante et décousue, cette tendre comédie mélancolique réserve des instants de cocasse drôlerie. Jean-Pierre Marielle fait décamper la propriétaire (Noémie Lvovsky, ulcérée comme jamais) à coups de balles de golf et envoie à la figure de Jeanne Moreau : « Je ne vais pas aller crever dans un chenil pour Alzheimer parce que Madame fait des manières ! » Le rythme enlevé des quiproquos distrait. Peut-être manque-t-il à cette élégante digression sur la vieillesse et la solitude un semblant de densité ?" 
Hélène Rochette pour Télérama

dimanche 16 décembre 2012

Journal

Problèmes de connexion à Blogger ce week-end.
Tout semble rétabli.
Samedi vu un excellent film-documentaire sur lequel je reviendrai. Rentrée à pieds sous le vent et des torrents de pluie et de grêle sans pouvoir m'abriter. Horrible.
Cet après-midi, ai assisté en "live" à mon émission favorite du dimanche :
Des Papous dans la tête au théâtre Max Jacob. Un petit moment agréable. Cependant j'avoue avoir autant - sinon plus - de plaisir à les écouter à la radio. Oui, en fait, c'est une certitude. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Peut-être que j'ai besoin que ce soit moi qui mette un visage sur les mots comme lorsque je lis un livre, je déteste ensuite voir un film d'un livre que j'ai aimé. Là, je les écoutais, je voyais leur visage, je les regardais bouger, je n'étais plus concentrée sur le texte, je n'imaginais plus les auteurs dont étaient tirées les phrases, je ne cherchais plus les réponses, je ne "jouais" plus avec eux. J'entendais les rires des spectateurs, je n'avais plus cette impression de complicité que je ressens, seule, chez moi, quand je les écoute sur France Culture, à l'heure du déjeuner. Je ne dois pas être "normale".
Vive la solitude... parfois.

 Les "papous" planchent



Théâtre Max Jacob

jeudi 13 décembre 2012

***

Photos du jour




"Les seuls chemins qui valent d'être empruntés sont ceux qui mènent à l'intérieur"

Charles Juliet, La lumière des saisons.

Ne rien savoir. Tout ressentir.

Intuitions

A chaque mot livré,
c'est un peu d'ignorance
qui se révèle
très loin dans la nuit qui nous sert à aimer.

Le savoir n'est en somme
que peu de chose.
Il suffit d'un doute
pour le détruire,
d'un silence pour le remettre en question.

Le savoir agit en bruit de fond
Inlassable, il épuise
- c'est un trop de lumière
qui aveugle et affole.

Ne rien savoir. Tout ressentir.

Comme une flamme, j'ai essayé tous les vents...

David Mazhari

mercredi 12 décembre 2012

Le mystère de la vie se cache derrière le mot "quotidien"


"Chaque fois, ou disons souvent, lorsque après le long parcours dans les entrailles du métro je retrouve la lumière du jour, puis ayant d’un pas énergique traversé le parc pour me rendre à mon atelier, je regagne ma propre lumière ou plutôt mon crépuscule, il vient un moment où je m’enflamme d’un sentiment de joie, de liberté. Je vais à mon travail, autrement dit chez moi, dans le ventre de la baleine, dans la cella. Et ce faisant, je songe, ou cela songe en moi : je vais cueillir mes choses, comme si elles poussaient dans les arbres. A longueur d’année, je chemine ainsi, moi le marcheur et fais ma récolte avec mes yeux. Et tout ce qui tombe dans ma besace se répercute au tréfonds de mon être. Je chemine afin de faire vibrer ma caisse de résonance, de me mettre au diapason. Jusqu’à ce que sautent les poissons. Jusqu’à ce qu’une bille se soit mise à rouler, à glousser et à cogner. Enfin une nouvelle pierre dans mon jeu de construction. Une image, un embryon d’image. Une particule. Un fragment. Une lumière. Une lueur. Tout est là. Suspendu dans les arbres. Dansant dans la lumière. Il me suffit de regarder. Je puis tout reconstituer. Me reconstituer moi-même. Cela tout en marchant."
[...]

"Dans le métro, une famille de touristes au type nordique irrécusable. Sortes de géants, difformes, lourdauds, les parents encore assez jeunes, moins de quarante ans, les fils à l'âge du lycée, tous vêtus de shorts, offrant aux regards leur chair à la blancheur d'asticot, les cuisses de la femme si flasques qu'elles auraient pu servir de modèle pour une étude approfondie de la cellulite. Et pourtant leurs visages respiraient ce genre d'ouverture d'esprit, d'harmonie familiale : on ne pouvait que songer immédiatement aux droits de l'homme, à l'écologie, la responsabilité, la solidarité avec les pays sous-développés, l'égalité et la bonne soupe, une vie de famille idéale, le refus du luxe et de la pollution. N'empêche que leur apparence physique constituait une offense à la vue; pas le moindre maquillage, pas la moindre trace d'élégance. Faudrait-il conclure que ces apprêts étaient à leurs yeux une forme d'ostentation répréhensible? Ces braves gens tenaient-ils à se montrer sous leur aspect naturel, dans une tenue adaptée à l'été, tout artifice complémentaire étant forcément inspiré par le diable? [...] Ces gens sont-ils si peu conscients de leur extérieur et si braqués sur les valeurs intérieures qu'ils sont immunisés à jamais contre le phénomène des apparences? [...] Leurs grands principes leur suffisent-ils? S'agit-il d'une espèce de puritanisme? Est-ce la propreté, le naturel ou ce qu'ils entendent par là qui leur tient lieu de précepte? La femme allemande ne fume pas, la femme allemande ne se maquille pas, disait-on à une certaine époque. [...] Il ne leur viendrait jamais non plus à l'esprit que l'apparence physique est une forme de politesse à l'égard de leur prochain et spécialement des habitants du pays qui les accueille. Nous portons des vêtements pratiques, adaptés au climat, conçus pour les vacances, basta.
Le cas des Américaines et Américains difformes que l'on voit déambuler, engoncés dans leurs jeans et leurs shorts, tels des monstres de foire, est différent. Ils veulent s'empiffrer et en même temps être habillés à la mode. Liberté, Egalité, Fraternité à l'américaine."

Paul Nizon, in L'oeil du coursier précédé de Mes ateliers, traduit de l'allemand par  Jean-Louis de Rambure, éditions Actes Sud, Lettres allemandes, 1994.

"Premièrement, il faut dire que j’aime bien écrire : écrire rapidement, pratiquement, longuement sur tout et rien. Construire une histoire ne m’intéresse pas tellement. Écrire se fait le long des fronts de la vie, c’est-à-dire n’importe comment. Tout cet espace de la pensée, des sensations et des sentiments : c’est ça la vie pour moi. Le mystère de la vie se cache derrière le mot « quotidien ». Là il y a victoire ou défaite, là il y a possibilité de recréation. Je suis un fou de la création. Je ne crois qu’en ça."

Fervente lectrice de cet auteur, il est temps que je me procure le quatrième tome de son Journal paru en 2011 : Les carnets du coursier, Journal 1990-1999. Un écrivain du Je, du Moi, de la Solitude, de la Liberté.

Paul Nizon est né le 19 décembre 1929. Il aura 83 ans dans sept jours.


Paul Nizon, 1990
Crédit photo : Centre Culturel Suisse. Paris


 

lundi 10 décembre 2012

Vivre ou se raconter

Plus le temps d'écrire ici.
"Vivre ou se raconter, il faut choisir" dit Roquentin dans La Nausée (J.P. Sartre).
En ce moment je me sens vivre.
Samedi, écouté Michel Serres invité de Alain Finkielkraut qui a été à deux doigts de se faire traiter de "vieux ronchon" par Michel Serres. Excellent. Jouissif.

Promenade solitaire hier sur un sentier battu par les vents. Exaltation. Sentiment d'une présence.









Photos de Pors Théolen
sis entre la Pointe du Van et la Pointe de Brezellec

"Le poète se bat contre les éléments
tandis que le philosophe doit planer au-dessus de la terre."

jeudi 6 décembre 2012

Time out

Dave Brubeck (1920-2012)

Il meurt (6 décembre 1920) pratiquement le même jour que sa naissance (5 décembre 2012).
* Rectification à 17 heures (0_0):
Il meurt (6 décembre 2012) pratiquement le même jour que sa naissance (5 décembre 1920).
J'imagine que de nombreux hommages vont lui être rendus avec Take Five. Je devais avoir 25 ans (je ne compte plus) quand j'écoutais en boucle cet album, Time out, dans mon petit studio parisien où je vivais mes premières années d'indépendance et de liberté.


L'illustration est de Neil Fujita (1921-2010)


Mon hommage sera avec Blue rondo à la turk et Claude Nougaro qui accompagné de ses musiciens, chante "A bout de souffle", adaptation du "Blue rondo à la turk" de Dave Brubeck (1973).

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