dimanche 29 septembre 2013

Ô cher Gustave

Lettre de Gustave Flaubert à George Sand (le 12 juin 1867) : Les Bohémiens excitent la haine des bourgeois





 

 

 

 

 

Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen.

Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir.

L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.

Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme.

Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre. C’est la haine qu’on porte au Bédouin, à l’hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète.

Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère.

Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton.

Gustave Flaubert, Lettre à George Sand,
Correspondance de Gustave Flaubert, Lettre à George Sand, 12 juin 1867, éd. de la Pléiade, tome 5, pp. 653-654.

P.-S. Source : Les Nouvelles Chroniques de Gabriel Matzneff, Chronique du 16/08/2010

Source : RdR

samedi 28 septembre 2013

Salut l'ami...

Émotion ce matin en recevant des photos de lac, de montagnes, d'un ami Suisse... comme une réponse à mon billet d'hier et un encouragement à poursuivre, à vivre...

Ce Léo je le lui dédie :

"A l'occasion du passage de Léo FERRE au Dejazet, interview de l'artiste dans sa loge sur l'amitié, la vieillesse, son ami Lochu."


 

Léo Ferré, ET... BASTA! 
 (Extraits)

"Qu'est-ce que je fais ici, à cette heure, attendant je ne sais quelle sonnerie de téléphone me rendant une voix, quelque part, quelque chose de fraternel, d'insoumis, de propre, de comme ça pour le plaisir, de rien, de larmes j'en ai trop en veux-tu? de quoi, enfin? Penses-tu!
Le silence, lui, ne téléphone jamais, et c'est bien comme ça, c'est bien.
La vie ne tient qu'à un petit vaisseau dans le cerveau et qui peut déconner à n'importe quel moment, quand tu fais l'amour, quand tu divagues, quand tu t'emmerdes, quand tu te demandes pourquoi tu t'emmerdes.
Il faudra que je prenne un jour quelque distance et dire à qui voudra mon style de pensée et de vie et de mort et je m'en monterai doucement du fond de l'An dix mille...
[...]

Je vous apporterai des animaux sauvés, l'innocence leur dégoulinant des babines ou de leurs yeux...
Je mangerai avec eux, de tout, de rien.
Je boirai avec eux le coup de l'amitié et puis partirai seul vers un pays barré aux importuns
Presque tous.
Je suis un oiseau de la nuit qui mange des souris
Je suis un bateau éventré par un hibou-Boeing
Je suis un pétrolier, pétroleur de guirlandes et de marée plutôt noire comme mes habits, et un peu rouge aussi, comme mon coeur
J'aime
La multitude
La multitude
Les chiens
Les hiboux

Les horreurs"


vendredi 27 septembre 2013

"Ils étaient blessés, mais ils reviendraient"



 http://www.decadrages.ch/system/files/imce/illustr_EntretienChristopheMarzal.jpg












(Captures d'écran, cliquer pour agrandir)

"Alex, guide touristique de profession, est chargé d'accueillir une jeune femme d'origine russe «Sacha» qui a gagné un séjour d'une semaine à Genève. Dès son arrivée, la jeune femme bouscule les plans d'Alex et l'entraîne avec elle dans une dangereuse et hasardeuse chasse au trésor aux confins de la Suisse orientale. Recherchés par la police, pourchassés par la mafia, Alex et Sacha décident de semer leur poursuivants en allant plus lentement qu'eux : ils progressent par les lacs et autres chemins détournés. Au fur et à mesure que Alex et Sacha s'enfoncent dans une Suisse de plus en plus étrange, ils vont s'observer, se découvrir, se séduire, s'opposer, et finalement s'aimer jusqu'à disparaître."

Un film Franco-Suisse (2004) de François-Christophe Marzal. Avec Mathieu Amalric, Julia Batinova, Jean-Luc Bideau, Maria Schneider.

J'ai adoré ce film, étrange, une mélange de thriller, de road-movie, d'aventure et l'histoire (d'amour) de deux couples interprétée par des acteurs magnifiques. Je n'en avais jamais entendu parler, diffusion restreinte et sans doute réservée à la Suisse. Je l'avais emprunté parce que je me disais qu'il allait me consoler du manque (permanent) des paysages de lacs et de montagnes que je ressens, depuis mon séjour annulé. Cependant les paysages ne sont pas ceux d'une carte postale suisse mais d'une autre beauté, presque irréelle, venant d'une autre planète, et de celle des personnages.
Je me suis bien plus évadée avec ce film qu'avec Elle s'en va...  M'a donné envie d'aller voir Jimmy P., pour Mathieu Amalric, formidable acteur.

Lire l'interview complet de Christophe Marzal en cliquant sur le document pdf. Un cinéaste à découvrir!

***

Lassitude.
Ça me reprend.
Envie d'arrêter... TOUT.
Je ne sais pas, je ne sais plus.
Partir... voir des lacs et des montagnes... AU LARGE DE...
Partir... ne plus revenir.


jeudi 26 septembre 2013

Je vais mourir*, Pégase (je parle à mon cheval)


http://www.pathe.ch/gfx_content/other/c_movie/elle-sen-va_5064616.jpg

Catherine Deneuve, Gérard Garouste

Vu lundi soir Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot, avec Catherine Deneuve.
Oui, bon, c'est pas mal mais cinq étoiles accordées par la majorité des critiques ça voudrait dire chef-d'oeuvre? Faut modérer un peu. Deneuve est épatante dans ce film, oui je suis d'accord et le jeune garçon aussi. Gérard Garouste pas mal du tout; assez étonnant qu'un artiste-peintre se mette à faire du cinéma. (Toi tu en faisais tout le temps du cinéma, pas besoin de caméra, d'ailleurs tes amis venaient sciemment pour voir une séance quand tu les invitais à dîner; ils n'étaient jamais déçus).
Bref, un bon moment de détente, avec tout de même quelques clichés un peu agaçants et des histoires de famille un tantinet embrouillées (Camille doit rester chanteuse et laisser tomber une carrière d'actrice!). A voir pour Catherine Deneuve, Nemo Schiffman (le garçon) et Gérard Garouste (l'homme tourmenté me touche plus que ses oeuvres tourmentées - comment ne le seraient-elles pas - qui demandent à être étudiées de plus près).

 "Favoriser l'épanouissement de l'enfant, l’éveiller à l’art dans la perspective d'en faire un être de désir. "
Gérard Garouste, Association La Source.

Avant la séance, je me dirigeais d'un bon pas vers la crêperie et, celle-là*, je ne me la suis pas prise de plein fouet... Une fois, ça suffit!

* Attention Vitre!

Interview de Catherine Deneuve en février 2011 :
Dans Les Yeux de sa mère, votre personnage dit cette phrase, à propos des journalistes : « Ils vont encore me demander si ça m’ennuie de vieillir ! Évidemment que ça m’ennuie de vieillir ! »…
C.D. : Mais oui, évidemment que c’est ennuyeux de vieillir ! Les hommes le disent moins, parce que la vieillesse est moins visible chez eux et que le physique leur importe moins. Mais ils en souffrent quand même, c’est sûr. Tout le monde en souffre !
[...]

Qu’est-ce qui vous ennuie le plus dans l’idée de vieillir ?

C.D. : La décrépitude. D’être décatie, de ne plus avoir la force de faire les choses que j’aime faire, de la manière dont j’ai l’habitude de les faire. Et lorsque l’on évolue dans ce métier, il faut accepter à la fois de vieillir et d’être filmée d’une façon qui soit acceptable pour tout le monde – pour le personnage, pour la réalité du film… et pour moi. On a beau essayer de se faire à cette idée du vieillissement, il y a des jours moins bons que d’autres, et de plus en plus de ces jours moins bons… [Long silence.] Et puis, vieillir, c’est sentir que tout part en creux : les forces s’en vont, l’énergie se perd, les os diminuent, les muscles disparaissent, la peau se sèche. C’est comme une lente flétrissure… Enfin, le plus important, c’est d’avoir sa tête ! [Elle sourit.]


Dans "L’Homme qui voulait vivre sa vie" d’Éric Lartigau, sorti en 2010, vous aviez une scène, où vous disiez à Romain Duris : « Je vais mourir*, Paul. » Cela m’a fait très bizarre, je vous l’avoue ; comme si ce n’était plus le personnage qui parlait, mais vous…

C.D. : Moi aussi, ça m’a fait bizarre ! C’était très, très difficile à dire. Et vous avez raison, c’était moi qui parlais. Parce que l’*on ne peut pas jouer à dire ces mots-là ; ils ne peuvent pas venir d’ailleurs que de soi.

La mort est-elle présente en vous ?
C.D. : Oui. Très

La vôtre ou celle des autres ?

C.D. : Les deux.


Comment apprivoisez-vous cette peur ?

C.D. : Je ne l’apprivoise pas, je souffre, je pleure ceux qui meurent, j’essaie de vivre sans eux, mais chacun de ces chagrins laisse sa marque…


mardi 24 septembre 2013

Sans titre

Quand l'araignée boulote la mouche! 
J'ai fait une vidéo mais elle est ratée, les protagonistes sont flous.



Celle-ci, débile, mais bon, on ne peut pas toujours évoluer dans des sphères "camusiennes"!


"Une certaine continuité dans le désespoir peut engendrer la joie".

"Qu'est-ce que le bonheur sinon l’accord vrai entre un homme et l’existence qu'il mène." 

Albert Camus, Noces.

Rajout à 20 h. 
Et voici ce qui reste de la mouche : une boulette calcinée! L'araignée - qui était de nouveau au milieu de sa toile - a galopé à toute vitesse quand je me suis approchée et s'est cachée sous l'oiseau (en ferraille).






Allons arroser les plantes, température de la journée : 25°.

Rajout à 20 h 30.
L'araignée planquée est sortie de sa cachette, a transporté le reste de la mouche au milieu de la toile. Y aura-t-il une suite? Fatale...


Je vais faire des cauchemars cette nuit. Mmm! C'est beau une toile d'araignée.

lundi 23 septembre 2013

"Je me révolte, donc nous sommes." *

 
En écoutant hier Raphaël Enthoven dans son émission Le Gai savoir, cette phrase* de Albert Camus dans L'Homme révolté, m'a interpellée. Passer du je singulier au nous collectif. J'ai dû interrompre l'écoute de l'émission... pour observer un vol inouï de mouettes rieuses très bruyantes. (Je farnientais sur ma terrasse, oui c'est l'été indien). 
Ce matin j'ai donc cherché l'explication de cette étrangeté que même les "apprentis" philosophes doivent connaître (sauf moi) :

La révolte [3]

Voici le premier progrès que l'esprit de révolte fait faire à une réflexion d'abord pénétrée de l'absurdité et de l'apparente stérilité du monde. Dans l'expérience absurde, la souffrance est individuelle. À partir d'un mouvement de révolte, elle a conscience d'être collective, elle est l'aventure de tous. Le premier progrès d'un esprit saisi d'étrangeté est donc de reconnaître qu'il partage cette étrangeté avec tous les hommes et que la réalité humaine, dans sa totalité, souffre de cette distance par rapport à soi et au monde. Le mal qui éprouvait un seul homme devient peste collective. Dans l'épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le cogito dans l'ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l'individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur. Je me révolte, donc nous sommes.
(Source : Philo5
"Après avoir lu – et relu – votre Homme révolté j’ai cherché qui et quelle oeuvre de cet ordre – le plus essentiel – avait pouvoir d’approcher de vous et d’elle en ce temps ? Personne et aucune oeuvre. C’est avec un enthousiasme réfléchi que je vous dis cela. Ce n’est certes pas dans le carré blanc d’une lettre que le volume, les lignes et l’extraordinaire profonde surface de votre livre peuvent être résumés et proposés à autrui. D’abord j’ai admiré à quelle hauteur familière (qui ne vous met pas hors d’atteinte, et en vous faisant solidaire, vous expose à tous les coups) vous vous êtes placé pour dévider votre fil de foudre et de bon sens. Quel généreux courage ! quelle puissante et irréfutable intelligence tout au long ! (Ah ! cher Albert, cette lecture m’a rajeuni, rafraîchi, raffermi, étendu. Merci.) Votre livre marque l’entrée dans le combat, dans le grand combat intérieur et externe aussi des vrais, des seuls arguments – actions valables pour le bienfait de l’homme, de sa conservation en risque et en mouvement. Vous n’êtes jamais naïf, vous pesez avec un scrupule. Cette montagne que vous élevez, édifiez tout à coup, refuge et arsenal à la fois,support et tremplin d’action et de pensée, nous serons nombreux, croyez-le, sans possessif exagéré, à en faire notre montagne. Nous ne dirons plus « Il faut bien vivre puisque... » mais « cela vaut la peine de vivre parce que... » Vous avez gagné la bataille principale, celle que les guerriers ne gagnent jamais. Comme c’est magnifique de s’enfoncer dans la vérité. 
Je vous embrasse." 
(René Char)

(Lettre empruntée ici)

dimanche 22 septembre 2013

***

11 h 15 ce matin.
Je tentai de photographier une araignée dans sa toile, les cloches de l'église venaient de s'arrêter. Je le vis descendre la rue de son pas mal assuré. Il allait, comme chaque dimanche, à la messe. Une heure plus tard, les cloches tintèrent, elles annonçaient la fin de l'office. Il remonta péniblement la côte.
Lorsque je suis arrivée dans ce quartier, il y aura bientôt cinq ans, la première fois que je l'ai vu j'ai cru qu'il était ivre, puis je l'ai revu plusieurs fois, de sa démarche claudiquante. Je le croise tous les jours, il marche sans arrêt, il soliloque; quand je passe près de lui j'entends sa voix : "chabada chabada"; il prononce ces mots sans arrêt, du moins quand je passe près de lui. Si cela me fit sourire au début, aujourd'hui j'éprouve de la compassion. J'ai presque envie de dire : il n'est malheureusement pas en état d'ébriété. Je pense que le jour où il arrêtera de marcher toute la journée, ses articulations se bloqueront d'un seul coup, il tombera et  restera alité. Il m'arrive de penser à lui certains matins (oui, c'est dingue), quand je me lève, et que mes articulations sont grippées. Je marche durant quelques secondes comme lui! [Rires].

C'est ce qu'on appelle un simple d'esprit. Je ne sais pas s'il est heureux selon la phrase biblique  : "Heureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux est à eux".



Divine complicité

Visionné hier soir :
INTERLOCUTION

90 minutes.
Quand la musique s'écoute... à deux : quelques instants hors du commun...

Ecouté ce matin :

Alain Veinstein et Jean-Philippe Toussaint. Pas encore acheté Nue. Je suis dans James Salter pour le moment et j'y reste.  

Malgré tous ces moments de petit bonheur, grande lassitude... de vivre. 

Nonobstant, l'été indien.

 

samedi 21 septembre 2013

***

En ce moment sur France Culture : Répliques, Alain Finkielkraut parle du "charme romanesque" de James Salter dans Un bonheur parfait!

Je l'ai devancé. Non mais!

"Chaque page est cristalline et d'une grande beauté".

vendredi 20 septembre 2013

Sur la transhumance...

HIVER NOMADE

 

  • Réalisé par Manuel von Stürler
  • Avec Pascal Eguisier, Carole Noblanc, Jean-Paul Peguiron
  • Genre : Documentaire
  • Nationalité : Suisse



Je n'avais pas pris le temps d'en parler lorsque je l'ai vu en avant-première l'hiver dernier. Les images sont d'une beauté à couper le souffle!

LA CRITIQUE LORS DE LA SORTIE EN SALLE DU 06/02/2013

L'année dernière, Bovines offrait son heure de gloire aux ruminants. Cette fois, c'est au tour d'un troupeau d'ovins de crever l'écran. Mais ce beau documentaire sur la transhumance "héroïse" surtout les humains qui les gardent : Pascal, un quinquagénaire bourru et passionné, et Carole, une jeune Bretonne au visage poupin et au tempérament d'acier. Du début à la fin de leur périple de quatre mois à travers la Suisse, le réalisateur les filme guidant leurs moutons, marchant pendant des kilomètres, dormant à la lisière des forêts, toujours en quête de pâturages. Visuellement, le spectacle est un pur régal. Sans jamais verser dans le passéisme, le film rend hommage à une activité presque disparue et incroyablement rude. Au vu de ces paysages en mutation — ce que le réalisateur appelle la « los-angélisation » du Plateau suisse —, on comprend que l'hiver prochain bergers et moutons devront s'aventurer encore plus haut dans les montagnes.
Mathilde Blottière  (Télérama)




Et le film poursuit sa belle aventure et sera présenté aux Oscars dans la catégorie
Meilleur film documentaire





" Pour la beauté de ce voyage dans les paysages hivernaux, pour la rigueur lyrique des images, il faut faire le voyage d'HIVER NOMADE "
LE MONDE
" Le spectacle est un pur régal, sans jamais verser dans le passéisme "

TELERAMA
" Lente et prenante, cette histoire de moutons est une superbe mise en garde contre tous les
comportements grégaires "
LE CANARD ENCHAÎNE
" Il faut courir voir Hiver nomade, et prendre son temps en revenant "
LA CROIX

mercredi 18 septembre 2013

La seule chose qui me fasse peur ce sont les mots "vie ordinaire"

 




 James Salter (88 ans), né le 10 juin 1925 à New-York



"Ils étaient couchés dans le noir comme deux victimes.. Ils n'avaient rien à se donner, ils étaient liés par un amour pur, inexplicable.
Viri dormait, elle le savait même sans le voir. Il dormait comme un enfant, silencieusement, profondément. Ses cheveux clairsemés étaient ébouriffés, il étendait une main douce et molle. S'ils avaient été un autre couple, elle aurait trouvé qu'ils étaient attirants, elle les aurait même aimés - ils étaient si malheureux.
Page 162.

"Dans six ans, elle aurait quarante ans. Elle percevait cette échéance comme un récif blanc au loin - signal du danger. La vieillesse l'effrayait, elle ne l'imaginait que trop facilement. Elle en cherchait tous les jours les signes, d'abord à la lumière crue de la fenêtre, puis tournant légèrement la tête pour atténuer un peu la dureté de cet éclairage, elle reculait de quelques pas en se disant : les gens ne s'approchent jamais autant.
Page 163

"Elle avait étalé les costumes de son père sur le lit. Ils iraient à l'Armée du Salut avec ses chemises, ses chaussures. La terre avait produit un bruit sourd en tombant sur la crypte où il reposait. [...]
[...]
C'était fini. Soudain, elle ressentit comme un présage. Elle était exposée. A présent le champ était libre pour sa propre mort.
Pages 191-192.

"Les deux amies regardaient des verres à vin. Tout ce qui était beau et élégant venait de Belgique ou de France. Retournant les objets, Nedra lut les prix. Trente-huit dollars la douzaine. Quarante-quatre.
"Ceux-ci sont magnifiques, dit Eve.
- Je préfère  ceux-là.
- Soixante dollars la douzaine. Qu'en feras-tu?
- On a toujours besoin  de verres à vin.
- Tu n'as pas peur de les casser?
- La seule chose qui me fasse peur, ce sont les mots "vie ordinaire".
Page 223.

James Salter, in Un bonheur parfait (titre original Light Years, 1975), éditions de l'Olivier, collection Points, 2008.

Je n'en suis qu'à la moitié du livre. C'est lumineux.

mardi 17 septembre 2013

"L'homme de demain sera hors norme" (Alain Bashung)




De toute façon, on va bientôt tous mourir, de fatigue, de vieillesse, crever de maladies puisque les traitements seront déremboursés, trop chers et réservés à l’élite !
Quand on va aller se faire opérer faudra qu'on (rraahhh! mortelle cette phrase, je me relis, je la laisse) rentre le jour même, sans ambulance, à quatre pattes. Tsss!

Il est plus que temps que chacun ait le droit de vivre décemment ou de mourir avant qu’on le laisse crever !

Les cures thermales sont toujours prises en charge. Ah ah !

« L’intérêt premier d’une cure thermale réside dans la rupture avec le quotidien ; rien de tel que de casser la routine pour prendre soin de soi. Buller sur un transat, lire au calme, écouter une musique douce, faire la sieste… Faites le vide, ne pensez qu’à l’instant présent et laissez-vous dorloter ! »

Non mais ! Et puis quoi encore sur le compte de la Sécu ! Bien sûr les cures ont leur raison d’être pour certaines maladies, douleurs chroniques, mais quel pourcentage de curistes bien portants en profite pour passer des vacances à moindre frais en faisant leur cure ? Et ce ne sont pas les plus démunis !

C’était mon coup de gueule de la journée. Ça suffit ! En empathie avec ceux qui se battent et pour eux-mêmes et… pour de bonnes causes.

Et ça, pour le plaisir, hors sujet :

dimanche 15 septembre 2013

Journées du Patrimoine

Hier, le beau ciel de septembre incitait à la promenade.



Quelques mètres plus loin, j'aperçus la grille ouverte d'un endroit que je rêvais de visiter. 


En y pénétrant je me demandais si ce lieu vivait encore tant l'extérieur me paraissait abandonné. Je n'entendais aucun bruit, il n'y avait que moi et je me demandais si je ne violais pas un endroit interdit. Je me rassurais en constatant que le seul interdit était celui de grimper au mur, ce qui n'était évidemment pas dans mes intentions.



J'avais espéré entendre le son d'un violoncelle, d'un piano, d'une flûte, qui se serait échappé de fenêtres entrebâillées mais ce n'était que silence rempli de mystère, sans âme qui vive. Je décidais alors d'inventer des âmes errantes, de tendre l'oreille sur un quatuor d'élèves-musiciens qui m'aurait enchantée, et je m'attardais longtemps dans le corridor où de naïves et jolies peintures ornaient les murs.  

"Vous voyez, un peintre de Paris est venu pour peindre en fleurs à fresque son corridor."
Honoré de Balzac

Une sensation étrange m'enveloppait faite d'exaltation et d'oppression; j'étais Alice au pays des merveilles, un lutin-lapin allait apparaître. 

Je repensais soudain au magnifique Conservatoire de Musique de Lausanne, son Café Mozart,  et je désirais ardemment retourner à Evian.








LAUSANNE 29-05-2012 par watnews 


Mais, j'étais à Quimper. Je découvrais, affiché sur une porte, le planning des cours pour l'année 2013-2014. C'est donc que ce Conservatoire n'était pas abandonné bien qu'à l'abandon, un abandon qui avait son charme. Turlupinée tout de même par l'état des lieux, je me renseignais de retour au logis sur ce Conservatoire et j'appris alors qu'il devait être réhabilité. Ouf! Nonobstant, je ressentis une joie particulière à l'idée d'avoir peut-être immortalisé ces murs...





samedi 14 septembre 2013

"Qu'est-ce qui vous surprend le plus dans l'humanité?"

C'était le 3 septembre dernier, il faisait ce jour-là 27° sur la Presqu'île de Crozon. 
J'avais réussi à la décider de m'accompagner pour une belle balade. Elle était trop fatiguée pour faire de longues marches, aussi avons-nous surtout contemplé les sites où nous nous sommes arrêtées. Il nous a fallu une bonne heure de route pour arriver à la première étape, le Ménez-Hom, cette petite montagne d'où l'on domine la rade de Brest, la baie de Douarnenez et le nouveau Pont de Térénez. Il était midi et demie et il commençait à faire très chaud. En sortant de la voiture je la regarde prendre son blouson en laine polaire; elle avait déjà une écharpe autour du cou. De mon côté, j'étais déjà en nage mais j'avais eu la bonne idée de mettre une tunique légère et ample, un pantalon large en lin où le petit vent s'engouffrait pour me rafraîchir. Nous n'avions pas vraiment le look des randonneurs qui faisaient une étape dans ce lieu, en short, sac à dos, chaussures de marche. Désormais, le moindre souffle d'air la fait frissonner. Je la prends rapidement en photo tandis qu'elle grimpait vers l'endroit où la vue est infinie. Son visage était anxieux, je devinais derrière ses lunettes de soleil que son regard l'était tout autant; elle fronçait les yeux qui laissaient apparaître deux rides d'expression entre les sourcils. Je la laissais seule - entourée de touristes - quelques minutes, pour faire des photos. Je les ai prises à-la-va-vite. Quand je revins vers elle, je remarquai qu'elle s'était emmitouflée dans son blouson marine, ravissant au demeurant avec sa capuche et ses poignets rayés bleu-marine et blanc, elle avait mis sa casquette et sa capuche par-dessus. Je lui dis en riant - j'avais pourtant envie de pleurer - : tu as froid mon Bézo? Et je lui donne un baiser sur la joue. - C'est beau hein! Elle ne dit mot mais opine du bonnet.



Nous reprenons la route et nous nous arrêtons à Crozon au Thé à l'Ouest (pour les photos, voir ici). J'avais relevé cette adresse en me disant qu'un jour j'irai y manger des scones, ayant lu quelques appréciations sur l'endroit qui m'avaient mis l'eau à la bouche. Dans la voiture elle me dit qu'elle n'a pas vraiment faim. Je lui dis : j'ai faim! et une petite salade avant les scones nous redonnera de l'énergie pour la balade au Cap de la Chèvre. Elle me dit  en arrivant au Thé à l'Ouest : je vais mettre mon bermuda, j'ai trop chaud. Chouette, elle ressent la température!
L'endroit est charmant et l'accueil aussi. Mon Bézo va aux toilettes et me dit en revenant : vas-y et prends en photo la porte! Nous commandons une "salade fraîcheur" puis des scones pour le dessert. Et, je vais aux toilettes avec mon appareil de photo. Hum! Petit espace, je dois me coller dans l'angle pour réussir à avoir la porte entièrement.


Ah! mon petit Bézo, c'est ta première émotion de la journée. Cette phrase te parle bien sûr et, en ce moment, bien plus que la couleur du ciel, de la mer et des merveilleux paysages. Cela me donne une idée : je dois absolument trouver un livre qui te "parlera", comme cette intéressante réflexion. Ça pourrait être celui-ci? Il faut d'abord que je l'achète pour moi et si je sens qu'il pourra te "parler" je t'en offrirais un exemplaire. Le mien je le garderai puisqu'il est illustré par F. Matton (extrait ci-dessous). Hé hé!




Nous déjeunons donc, à l'heure espagnole. Petite déception tout de même : la salade "fraîcheur"  sentait un peu la fin de saison pour ce qui concerne les feuilles de frisée et la truite fumée, le fromage de chèvre cependant, servi avec du miel de cidre était bon et, les scones - mais ça je m'en doutais - n'avaient rien à voir avec ceux-ci ni les appréciation dithyrambiques que j'avais lues. Snif! Tant pis, je le dis, même si je pense que l'endroit vaut vraiment le détour, on y vend de très bons thés, des épices, de la jolie vaisselle et le côté british est very nice!



Et hop! direction le Cap de la Chèvre. Dans la voiture je lui dis : j'y suis allée avec papa et maman quand j'étais jeune, jamais depuis! Elle me dit : moi aussi! Elle rajoute : tu m'enverras la photo de la porte? - Oui, j'ai réussi à la prendre en entier, c'est une belle phrase, on s'attache trop aux choses matérielles, on devrait vivre chaque journée comme si on allait mourir le lendemain. Elle me répond : encore faut-il en avoir la force! Je lui demande alors si elle n'est pas trop fatiguée? - Ça va. Si tu avais été toute seule tu aurais fait plus de choses sûrement. - Mais non, je préfère être avec toi.
Un car de touristes traîne devant nous, nous passons devant l'immense plage de sable de Morgat. Les souvenirs d'enfance reviennent. Le car va aussi au Cap de la Chèvre. Le parking est bien rempli pour un début septembre. Nous prenons nos casquettes, une petite bouteille d'eau et nous acheminons vers la pointe. C'est superbe, rude, sauvage c'est vrai que si j'avais été seule je serais allée à pied jusqu'à la plage de la Palud mais ça ne lui disait rien. J'ai demandé à une touriste de nous prendre en photo avec mon appareil : elle est très réussie, je la tiens par l'épaule, je la regarde en souriant, elle, regarde l'objectif, sans sourire et toujours en fronçant les sourcils. Derrière ses lunettes de soleil,  il fait encore sombre. Nous sommes prises devant ce paysage. Au retour, j'aperçois les Tas de Pois et la Baie des Trépassés :

« Rien ne saurait rendre l'impression d'infinie solitude, de veuvage, de néant, que donne, l'hiver, cette "baie des Âmes", boé an anaon, comme l'appellent les Bretons, en leur langue, d'un mot sourd et plaintif, emprunté, dirait-on, au vocabulaire de l'au-delà. La puissante lamentation de la mer, tantôt éclatait en sanglots, tantôt se traînait en longs gémissements... » 
Anatole Le Braz (1859-1926), in Impressions de Bretagne, le pays funèbre, 1896.




(nous les apercevions que de très loin et zoom à fond mauvaise photo)



En revanche celle-ci vue du ciel est magnifique

Je sens qu'il est temps de rentrer, nous rejoignons le parking, elle me tient le bras.  Je lui dis : courage, plus qu'un arrêt, à Morgat, j'ai envie de faire une photo. En cinq minutes nous y sommes. Il fait de plus en plus chaud, elle reste à l'ombre pendant que je traverse la chaussée pour m'approcher de la plage; le soleil plombe vraiment trop, je ne m'attarde pas non plus. Nous retournons à la voiture, dans une ruelle nous nous tenons par la taille, je suis heureuse, je lui dis : on va nous prendre pour des lesbiennes. Elle rit, j'éclate de rire. Nous repassons en voiture devant la plage et les grottes. - Je les ai visitées avec papa et maman quand j'étais petite me dit-elle, je lui dis : je devais être avec vous mais je ne m'en souviens pas très bien.


 Morgat, la plage
  
"Morgat est réputée pour ses grottes, dont la couleur rouge et rosée sont dues aux oxydes de fer. La renommées de ces grottes est due aux carnets de voyages des nombreux visiteurs de la Presqu’île de Crozon qui comme Gustave Flaubert, en 1847, décrivait sa visite des grottes marines de Morgat : « la barque roulait à la godille, on se sentait entraîné vers un royaume nacré, étrange, comme dans un couloir magique »."

Allez, zou! on rentre. Telgruc est sur notre route, je lui propose d'aller y prendre un rafraîchissement, elle est d'accord. Je lui dis que j'en garde un beau souvenir et que j'y suis allée avec toi mon aimé. Arrivées à Telgruc, je cherche le port, dans mon souvenir c'était un petit port charmant, encaissé. Que nenni! Rien de tout ça, mais de belles plages et des falaises découpées recouvertes de landes. Elle me dit : tu dois confondre.  On fait demi tour. Tant pis, on rentre, on boira du cidre frais chez moi. Je me demande si je n'ai pas confondu avec Port Manech où je suis allée avec lui, lui dis-je. Le soir chez moi, je cherche sur le web Port Manech et je vois Port Manech-Kerdruc!!! Eh oui! j'ai confondu Telgruc avec Kerdruc; c'était donc à Kerdruc que nous avions passé une nuit mon aimé. Nous avions croisé Xavier Grall la veille à Port Manech. Tout cela est si loin et pourtant je nous revois... je te revois toi surtout, avec ta chemise col Mao, ton éternelle veste chinoise bleu indigo et ta cigarette roulée, scotchée à tes lèvres.

... Le lendemain mon Bézo m'a dit qu'elle avait passé une belle journée avec moi.

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