dimanche 13 octobre 2013

La littérature, mes agneaux.

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"Lorsque j'écris un livre, je me voudrais aérien, l'esprit au vent et la main désinvolte. Mon cul. En fait, je suis très organisé. Je m'entraîne, je me prépare, je me dispose. Il y a un côté monacal dans mon attitude, spartiate, navigateur solitaire. Tout importe, la condition physique, l'alimentation, les lectures. [...]
[...]
Il y a toujours en jeu, je crois, dans l'écriture, ces deux notions apparemment inconciliables : l'urgence et la patience.

L'urgence, qui appelle l'impulsion, la fougue, la vitesse - et la patience, qui requiert la lenteur, la constance et l'effort. [...]
[...]


La patience

Tout commence et tout finit toujours par la patience dans l'écriture d'un livre. [...]
[...]
J'aime ce moment, à l'aube, où on ouvre prudemment le manuscrit du livre en cours dans la maison encore endormie. Il y a de multiples stratégies pour découvrir le travail d'un œil neuf, de le piéger, de le surprendre, à l'improviste, comme si on le découvrait pour la première fois pour le juger d'un regard impartial. Une sieste peut faire l'affaire, une longue nuit, encore mieux. J'ai même l'intuition qu'une partie de la relecture d'un livre peut se faire durant le sommeil. A l'état de veille, le livre s'est inscrit dans le cerveau avec la précision d'une position d'échecs, et, la nuit, quand on dort, l'étude des variantes se poursuit, comme un ordinateur qu'on laisserait tourner en permanence pour étudier l'immensité des calculs en jeu dans l'opération ( si bien qu'il m'arrive parfois d'avoir la solution au réveil sans autre effet conscient particulier). Mais inutile de s'acharner à raturer sans fin, seul le temps lave vraiment le regard.


L'urgence

L'urgence est fugitive, fragile, intermittente.

L'urgence, telle que je la conçois, n'est pas l'inspiration. Ce qui en diffère, c'est que l'inspiration se reçoit, et que l'urgence s'acquiert. [...]
[...]
L'urgence est un état d'écriture qui ne s'obtient qu'au terme d'une infinie patience. Elle en est la récompense, le dénouement miraculeux. Tous les efforts que nous avons consentis au préalable pour le livre ne tendaient en réalité que vers cet instant unique où l'urgence va surgir, le moment où ça bascule, où ça vient tout seul, où le fil de la pelote se dévide sans fin.[...]"

Jean-Philippe Toussaint, in L'Urgence et la Patience, éditions de Minuit, 2012.

J'ai retrouvé le ton de ses romans dans cet essai avec de très belles pages sur Jérôme Lindon et sur Samuel Beckett, mais ne gâchons pas le plaisir des lecteurs qui découvriront peut-être cet ouvrage. Tout de même je note cette phrase (J.Ph. Toussaint parle de ce qu'il ressent en lisant Beckett) :

"[...] l'image qui commençait doucement à naître dans les brumes ouateuses de mon esprit restait purement abstraite, pur vertige de rythme et de sonorité, de cliquetis mental de couleurs et de consonnes - la littérature, mes agneaux."

Et je n'ai pas encore acheté Nue! Je ne suis pas pressée, je suis sûre que lorsque je l'aurai lu, terminé, en le refermant, je regretterai de ne plus avoir à le lire.