mercredi 27 novembre 2013

"Le fou d'absolu, le mangeur d'étoiles"

Vu le film-documentaire que j'avais mis en lien dans le précédent billet sur Romain Gary. On voit pourquoi et comment le pseudo d’Émile Ajar, au lieu de le libérer, fut plutôt une descente aux enfers; pris au piège de ce qui aurait dû être une jubilation tant le succès de ses romans sous ce pseudonyme fut immense, il s'enfonce dans le machiavélisme en confiant à Paul Pavlowitch le rôle d'Emile Ajar. Il est probable que ce fut l'origine de ses dépressions. Romain Gary a toujours été un homme d'honneur, de droiture et révéler l’identité de Emile Ajar était devenu impossible, il était allé trop loin, c'est du moins ce qu'il a cru. Il n'y avait plus d'issue, la seule sera fatale. Un homme dans la tourmente.

«Après avoir signé plusieurs centaines de fois, si bien que la moquette de ma piaule était recouverte de feuilles blanches avec mon pseudo qui rampait partout, je fus pris d'une peur atroce : la signature devenait de plus en plus ferme, de plus en plus elle-même, pareille, identique, telle quelle, de plus en plus fixe. Il était là. Quelqu'un, une identité, un piège à vie, une présence d'absence, une infirmité, une difformité, une mutilation, qui prenait possession, qui devenait moi. Émile Ajar. Je m'étais incarné.»
 Romain Gary, in Pseudo

 "Dire le fond de sa pensée sans prendre en considération la difficulté d'être un homme, notre manque de talent, nos luttes, nos illusions, nos insuffisances et nos fragilités, lâcher une vérité cruelle quand rien d'essentiel n'est en jeu relève simplement du fanatisme et de l'intolérance. Après tout, si l'humanité devait savoir toute la vérité sur elle, peut-être se désintègrerait-elle pour mourir d'horreur et de désespoir." 
Romain Gary, in L'affaire homme.
Dire le fond de sa pensée sans prendre en considération la difficulté d'être un homme, notre manque de talent, nos luttes, nos illusions, nos insuffisances et nos fragilités, lâcher une vérité cruelle quand rien d'essentiel n'est en jeu relève simplement du fanatisme et de l'intolérance. Après tout, si l'humanité devait savoir toute la vérité sur elle, peut-être se désintégrerait-elle pour mourir d'horreur et de désespoir.
Read more at http://www.dicocitations.com/citations-auteur-romain_gary-5.php#Kkx232OqXbGMYVMy.99


Dire le fond de sa pensée sans prendre en considération la difficulté d'être un homme, notre manque de talent, nos luttes, nos illusions, nos insuffisances et nos fragilités, lâcher une vérité cruelle quand rien d'essentiel n'est en jeu relève simplement du fanatisme et de l'intolérance. Après tout, si l'humanité devait savoir toute la vérité sur elle, peut-être se désintégrerait-elle pour mourir d'horreur et de désespoir.
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Dans cette dernière image, un regard tourmenté. 
Ce jour-là, il a 66 ans, la date est fixée, il se suicidera.

Photos : Captures d’écran du film documentaire (1 h 30)
Romain Gary, le roman du double 
Réalisation : Philippe Kohly
Voix : Anouk Grinberg
Montage : Claudine Dupont
Ethan production, France 2, Arte, Gallimard

Un film, à voir absolument, les images parlent aussi : " Les gens qui me lisent, les critiques, ne parlent que de l'homme qui est derrière mes ouvrages, ils parlent d'un homme que je connais pas. Je ne me reconnais pas du tout dans cet homme." (Citation approximative)
Je regrette que Anouk Grinberg ait cette voix larmoyante, j'aurais aimé une voix moins mélodramatique. Une voix de femme qui soit aussi un homme? Le drame oui, le mélo non.


Dans ce film très documenté, une scène, brève, touchante; il déjeune avec son fils Diego qui a alors 11 ans, et lui 60. Romain Gary se sent vieux et ressent le gouffre générationnel qui le sépare de son fils.

Je rajoute ces quelques mots sur Alexandre Diego Gary :


Tu seras un homme mon fils!

Diego Gary a aujourd'hui 51 ans, il vit à Barcelone, il a écrit un livre publié en 2009 chez Gallimard : S. ou L'espérance de vie.

"Fils de l’écrivain Romain Gary et de l’actrice Jean Seberg, disparus dans des conditions tragiques, Diego Gary s’exprime dans un livre, à 46 ans, après un silence de trente ans.
[...]  il raconte son existence qui «ressemble à une succession de mots rayés jusqu’au sang». Il évoque, sans fin, son rang de «progéniture, de rien du tout», et ces années où il a passé de longues heures prostré dans l’appartement et le bureau de son père.
[...] 
Adolescent, Diego Gary a connu trois deuils dévastateurs. Il a 14 ans quand survient la mort, des suites d’un cancer, d’Eugénie, sa gouvernante, la femme qui s’occupait de lui au quotidien. Il lui dédie le livre. Il a 16 ans lorsque le submerge, en septembre 1979, le décès de sa mère, Jean Seberg, devenue une figure de la Nouvelle Vague après son interprétation dans A bout de souffle, de Jean-Luc Godard (1960). Elle est retrouvée plusieurs jours après sa disparition, à l’arrière de sa voiture. 
[...]
Après les décès d’Eugénie et de Jean Seberg, Romain Gary s’est rapproché de son fils. Il le couvait à sa manière. [...] il tremblait d’inquiétude pour lui. «Un jour, alors que Diego, âgé de 13 ans, avait un simple bleu à un genou, il a tout laissé tomber pour le conduire aux urgences.»
Mais Romain Gary restait dans son univers, celui d’un écrivain reconnu, ombrageux et embarqué dans une mystification littéraire sans égale : la création d’une autre œuvre sous le nom d’Émile Ajar. Cela lui vaudra de recevoir deux fois – ce qui est unique – le Prix Goncourt. Il l’a obtenu en 1956 sous son nom avec Les Racines du ciel, et en 1975, avec La Vie devant soi, sous le nom d’Émile Ajar.
[...] 
«Même quand il était présent, mon père n’était pas là. Obsédé par son travail, il me saluait, mais il était ailleurs», se souvient Diego Gary. Diego était en retrait, il n’était plus l’enfant joyeux qu’il avait été. Mais s’il est une chose à laquelle il ne s’attendait pas, c’est le suicide de son père, d’une balle dans la tête, chez lui, en décembre 1980. «A cet instant, la vie m’est tombée sur la gueule.» Il évoque comment, après coup, il a retrouvé des éléments qui auraient dû l’alerter, comment son père le préparait à être un homme sans pour autant comprendre ce qu’il voulait.
[...]
«Je sais que Diego revient de loin, je ne connaissais pas les détails, assure Myriam Anissimov. C’est un très beau livre, d’une grande valeur littéraire. Tout ce qu’il dit n’est pas une recension exacte de ce qui s’est passé, comme pour tout écrivain. Mais c’est sa vérité.» Même ses proches amis, comme Isabelle Sicot, qui le connaît depuis vingt ans, ont été surpris par le désespoir qui émane de son texte. «Diego est quelqu’un de très pudique, de très réservé.»[...] «En lisant le livre, j’ai été tétanisée, j’ai pris la mesure de toute sa douleur. J’ai été triste et j’ai eu un sentiment de culpabilité.»
Aujourd’hui, Diego Gary assure ne plus avoir peur de rien, «pas même d’écrire», parce que l’écriture a toujours été essentielle pour lui, même s’il ne publiait rien. Il n’aurait pas cherché à éditer ce livre si Roger Grenier, conseiller littéraire chez Gallimard, ne lui avait pas donné son imprimatur. «Il a créé quelque chose, le vrai sujet, c’est tout simplement comment exister par soi-même, et il y parvient», explique le journaliste et écrivain, qui était un proche de ­Romain Gary.
Depuis la publication de son ­livre, Diego Gary a reçu de nombreux témoignages de félicitations et d’encouragements. «Moi, je me dis que je n’aurai réussi que le jour où j’écrirai un véritable livre de fiction.»"

Source : Alain Abellard, article Sa vie à lui, enfin, 2009, Le Monde.