dimanche 30 novembre 2014

Le "je" de celui qui écrit je n'est pas le même que le "je" qui est lu par "tu". (Roland Barthes).

Je reviens sur le genre en littérature, sujet de l'émission des NCC et plus particulièrement sur le Journal intime avec ce texte - lu dans l'émission - de Roland Barthes :

Je n'ai jamais tenu de journal - ou plutôt je n'ai jamais su si je devais en tenir un. Parfois, je commence, et puis, très vite, je lâche - et cependant, plus tard, je recommence. C'est une envie légère, intermittente, sans gravité et sans consistance doctrinale. Je crois pouvoir diagnostiquer cette « maladie » du journal : un doute insoluble sur la valeur de ce qu'on y écrit. Je n’esquisse pas ici une analyse du genre Journal, il y a des livres là-dessus, mais seulement une délibération personnelle destinée à permettre une décision pratique : dois-je tenir un Journal en vue de le publier  ? Puis-je faire du Journal une œuvre ? Je ne retiens donc que les fonctions qui peuvent m’effleurer l’esprit ; par exemple, Kafka a tenu un journal pour extirper son anxiété ou si on préfère, trouver son salut. Ce motif ne me serait pas naturel ou du moins, constant. De même pour les fins qu’on attribue traditionnellement au Journal intime, elles ne me paraissent plus pertinentes. On les rattachait toutes au bienfait et au prestige de la sincérité ; se dire, s’éclairer, se juger. Mais la psychanalyse, la critique sartrienne de la mauvaise foi, celle marxiste des idéologies ont rendu vaine la confession. La sincérité n’est qu’un imaginaire au second degré.

Non, la justification d’un Journal intime, comme œuvre, ne pourrait être que littéraire, au sens absolu, même si nostalgique. 

Roland Barthes, Délibération, article paru en 1979, numéro 82 de la revue Tel Quel, paru aujourd’hui dans Le bruissement de la langue, éditions Seuil.

Le journal intime

Dominique Kunz Westerhoff, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève

II.3. L'anti-journal de Roland Barthes

Roland Barthes est sans doute l'adversaire le plus virulent de la forme diariste, et plus généralement de l'écriture de l'intimité au quotidien:

Le journal (autobiographique) est cependant aujourd'hui discrédité. Chassé-croisé: au XVIème s., où l'on commençait à en écrire, sans répugnance, on appelait ça un diaire: diarrhée et glaire.
Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, 1975, p.91
Pourtant, Roland Barthes se livre lui-même à une forme d'écriture de soi, notamment dans l'essai autographique d'où est tirée cette citation (Roland Barthes par Roland Barthes). Il s'essaie même au genre du journal intime, dans un article qu'il intitule Délibération et qu'il fait paraître dans la revue d'avant-garde Tel Quel en 1979. Gérard Genette [1981] parlera à ce propos d'un anti-journal. En effet, cette délibération met en œuvre un chassé-croisé de notations personnelles, relevant de la confidence diariste, et de réflexions critiques sur cette pratique littéraire même. En réalité, il s'agit d'un phénomène constitutif et récurrent de l'écriture intime, comme si le fait de s'adonner à l'instrospection impliquait un mouvement réflexif du journal sur lui-même, un mouvement réflexif et souvent négatif. Il n'y a pas de journal intime sans anti-journal, sans examen de ses visées et de ses défaillances: Le journal ne peut atteindre au Livre (à l'œuvre), dit Barthes, reprenant la critique de Maurice Blanchot sur l'impuissance du journal à se constituer en une œuvre littéraire.
Barthes renvoie lui-même cette écriture intimiste à un principe de plaisir, à une séduction de l'immédiateté qui serait aux antipodes des exigences de l'œuvre:

Lorsque j'écris la note (quotidienne), j'éprouve un certain plaisir: c'est simple, facile. Pas la peine de souffrir pour trouver quoi dire.
Roland Barthes, Délibération (1979), Le bruissement de la langue, 1984
Il faut donc relever ce double mouvement de l'écriture diariste: d'une part, une facilité de l'épanchement, un plaisir de l'effusion, que Barthes n'est pas sans comparer à une forme d'excrétion du sujet (diarrhée et glaire); d'autre part, une délibération critique du sujet sur lui-même, et du journal sur son propre statut littéraire.

Catherine Pozzi a 18 ans quand elle écrit ceci dans son Journal :

Orgeval, mercredi 11 juillet 1900.
Je viens de relire une partie de ce livre charmant*. Je suis très agacée, car je l'ai trouvé ridicule, et bien poseuse la petite fille qui l'avait écrit en pensant trop à la Postérité! J'ai l'air franc, et mon grand défaut est le manque de sincérité aussi bien dans mes actions que dans mes paroles; bien plus même.
Mes plus simples mouvements sont étudiés, comme mes états d'âme; un masque de pose, de comédie, de "tout-pour-l'effet", est collé à mon être, et m'horripile, sans que je puisse le jeter loin de moi. Je me joue des personnages divers qui ne sont jamais moi-même; un jour je suis la "jeune femme", ça dépend du chapeau que j'ai alors; un autre, la grue; un autre, le gamin de Paris; un autre, la jeune désabusée; un autre "les aspirations d'une âme vers l'idéal"; où est Catherine Pozzi dans tout ça?

* son journal.

Il m'arrive de relire mon Journal intime, celui de mes cahiers manuscrits. Parfois je trouve puéril ce que j'écrivais, parfois je trouve que ce n'est pas mal. C'est ma mémoire. La vérité est dans ces cahiers, pas ici. 
En décembre 2011, je relisais mon journal de 1995 et j'écrivais ceci :
" En relisant ces morceaux de vie je me demande si c’est de moi qu’il s’agit. Mais oui, j’ai bien vécu comme cela. [...]
Si j'ai ouvert ce cahier ce soir c'est bien pour... Je n'en sais rien. J'en ai profité pour déchirer deux cahiers de l'année 2000, sans intérêt à la relecture. Je vais peut-être le regretter. J'en ai déjà brûlés avant de déménager. Un jour, en quelques clics, ce blog disparaîtra aussi. On dit que les paroles s'envolent et que les écrits restent. Non, tout est mortel! Je pense soudain à cette expression : rendre l'âme. "Il a rendu l'âme".  Aujourd'hui j'ai seulement rendu les armes."

samedi 29 novembre 2014

"Le sport est bien affaire de frissons"

"Surfer est la célébration d'une existence pleine et authentique qui ne convient guère aux balisages qu'affectionne notre temps. On comprend mal l'obstination des surfeurs à répéter les même gestes, à déployer tant d'efforts pour un plaisir si éphémère. Le surf, hymne à l'altérité, est une discipline à contretemps. En luttant fugacement contre l'océan, le surfeur, consciemment ou pas, revendique sa singularité". 

Lodewijk Allaert, L'instinct de la glisse, Petit hymne au surf, aux vagues et à la liberté, éditions Transboréal.

Si j'en crois ce que je lis sur Wikipédia, c'est un bon écrivain, en plus d'être sportif. Critiques élogieuses pour cet ouvrage publié en 2011 et pour Rivages de l'est en 2012.




Euh! mais qu'est-ce qui me prend à parler de "glisse"? La beauté des images de cette vidéo sans doute... Ce devait être grandiose sur l'écran du Grand Rex hier soir. Et puis, mon neveu est "addicted to life"; ceci explique cela. Il faut dire qu'il a passé son adolescence à La Torche. Aujourd'hui il glisse à Biarritz où il a trouvé un job, car il travaille et le surf, si on n'est pas un champion, ça ne nourrit pas son homme. Disons qu'il essaie de trouver des jobs là où il peut satisfaire sa passion, son désir de liberté (mais il n'y a pas de liberté sans contraintes). Là par exemple il vient de se "péter" [sic] le genou, c'est peut-être le moment de lui offrir le livre de Lodewijk Allaert. Mmm!




Un mode de vie singulier que celui des amateurs de glisse, un monde à part, avec ses codes en matière de look. Mais il ne faut pas se satisfaire de cette étrangeté car c'est une passion qui va bien au-delà du look, passion de l'extrême, du risque, une autre façon de se dépasser et de méditer, sur soi. 




jeudi 27 novembre 2014

C'est qui, c'est quoi votre genre?

Journal.

Vu quelques films récents au cinéma, mes étoiles (très subjectives) :

Mommy de Xavier Dolan ****
Magic in the Moonlight de Woody Allen ** (*** pour les décors et les costumes)
Une nouvelle amie de François Ozon *** (Anaïs Demoustier, merveilleuse. Me voilà réconciliée avec elle, qui ne m'avait pas fait rêver dans Bird People, mais en fait ce n'est pas elle qui m'avait déçue, c'est le film de Pascale Ferran).

Lecture en cours : Journal de Catherine Pozzi.

Entretemps : golf golf golf, juste pour m'aérer, une heure tous les jours sur des fairways pas tondus, normal le terrain est détrempé. Cet après-midi (jeudi 27 novembre), un truc dingue : un corbeau a chipé ma balle orange et s'est envolé. Heureusement que je l'ai vu la déposer, pas du tout sur le même trou. Je suis allée la récupérer et l'ai remise approximativement à sa place comme la règle le précise : 
18-1.(balle déplacée) Par un élément extérieur
Si une balle au repos est déplacée par un élément extérieur, il n'y a pas de pénalité et la balle doit être replacée.
C'était très rigolo. C'est la première fois que ça m'arrive et je suis restée béate de voir le corbeau s'envoler avec cette balle orange dans le bec. Il a dû la prendre pour du Babybel (0_0).
(Je ferme la parenthèse).

Vu encore deux belles expositions il y a déjà un mois. Notre musée des Beaux-Arts se démène pour nous offrir ce que nous devions aller voir ailleurs :
De Gainsborough à Turner. Les photos étaient interdites et j'ai volé celle-ci. Sur le mur :


J.M.W. Turner, Paysage avec rivière ou
Confluent de la Severn et de la Wye, vers 1845.



Je me suis attardée sur le tableau ci-dessous de Georges Stubbs. J'aimais son élégance et la queue coupée du cheval était surprenante. En rentrant chez moi je voulais en savoir plus sur ce tableau et j'ai déniché un billet détaillé et plein d'humour dans un blog épatant : Mission au Louvre. Lire "l'avertissement" du blogueur, Jean-Sébastien Cariot, ou comment parler d'art avec légèreté, sérieusement, sans se prendre au sérieux. C'est excellent. 

Portrait d'Assheton avec sa jument Maria


Je suis passée de la peinture anglaise à la peinture aborigène la semaine suivante. Une grande découverte avec des artistes aborigènes d'Australie. J'ai fait plein de photos pour les mettre ici et, pas le courage, je deviens de plus en plus fainéante. Je m'en veux. Bon, j'en mets quelques-unes mais je ne commente pas; pour en savoir plus sur la peinture aborigène, allez au musée du Quai Branly à Paris. Je ne mets pas le lien, personne ne clique sur les liens, je le parierais! Mais les photos des oeuvres ne suffisent pas pour entrer en communication avec ces artistes, il faut connaître leur histoire et là, cher Journal (je plagie Catherine Pozzi), tu me pardonneras ma flemme.






 


Bon d'accord, ce n'est pas le musée du Quai Branly, mais tout de même, ça méritait le détour et c'est un bel endroit. L'expo se terminait le 2 novembre.


Sinon, quoi d'autres? J'écoute toujours les NCC, moins régulièrement je l'avoue. Cette semaine sur le thème du "genre" et, pas seulement du genre en tant que sexe. Le genre dans tout ses états, un "mélange de genres". Mmm! Tenez, par exemple, le genre en littérature. Je dirais que le genre qui m'intéresse c'est le Journal intime, les Essais, les Correspondances.
Anecdote : l'autre jour j'envoie à ma soeur par MMS une photo des chaussures que je venais d'acheter. Elle me répond en me disant : c'est ton genre. M'voui et en l’occurrence ce sont des chaussures très masculines. Ah ah!  C'est vrai que mes goûts vestimentaires sont masculins, ce qui n'empêche pas la féminité : mes bottines sont féminines. Non mais!

A suivre...

mardi 25 novembre 2014

"L'adolescence est le seul temps où l'on ait appris quelque chose" (Proust)


André Téchiné en... 1976?
© DR



Elodie Bouchez, Gaël Morel, Stéphane Rideau, Frédéric Gorny,
Michèle Moretti, Jacques Nolot.

Je ne vais pas faire une analyse fouillée de ce très beau film, sorti en 1994. Pour l'analyse lire ici.

En 1962, en pleine guerre d’Algérie, alors que les attentats de l’OAS se multiplient, l’intrusion d’un garçon pied-noir exilé va bouleverser la vie paisible de l’internat du lycée où il est accueilli.
Tout n'est que finesse, délicatesse pour aborder la complexité des sentiments de ces adolescents, leur angoisse, leurs questionnements. Refoulement, désir, incertitude. Amour/Amitié. Ce film a vingt ans et n'a pas vieilli, au contraire et si ce n'était la période de la guerre d'Algérie on peut dire que c'est un film d'aujourd'hui, un film intemporel.

"Gaël Morel incarne magnifiquement ce petit intellectuel de province bouleversé par la découverte de son homosexualité, Stéphane Rideau impose avec assurance ce beau personnage de fils de paysan qui ne quittera jamais l’exploitation familiale, Frédéric Gorny, quant à lui, sauve du cliché ce pied-noir buté et extrémiste. Enfin, soleil parmi les nuages, Élodie Bouchez irradie l’ensemble du film par sa présence magnétique et son regard ravageur. Totalement possédée par son rôle, elle nous bouleverse lors des séquences finales qui renvoient à la Partie de campagne (1936) de Jean Renoir."

Oui, cette dernière séquence du film, cette "Partie de campagne" dont on parle ci-dessus est magnifique. Ce serait réducteur de dire que c'est la plus belle car tout dans ce film est confondant de justesse, de beauté jusque dans les paysages (Lot et Garonne) et la musique de Samuel Barber.  La scène :
Lassés d'attendre les résultats du bac, François, Maïté et Serge décident d'aller se baigner dans la rivière. Ils rencontrent sur leur chemin Henri, qui n'a pas encore pris son train. Cette ultime scène de baignade estivale est l'occasion de préciser les rapports de chacun avec les autres. Élodie Bouchez en "canari" dans son maillot jaune, trop grand pour elle, est d'un naturel à pleurer, d'émotion.
André Téchiné dans une interview, même s'il aime beaucoup Renoir, refuse la comparaison pour cette scène. Il a raison, Renoir est unique, Téchiné l'est aussi.





























André Téchiné, interview dans le bonus du DVD

 (Photos du film : capture d'écran)



Prix

Le film a reçu le Prix Louis Delluc 1994.
Il reçoit quatre récompenses aux César 1995 :
  • Meilleur film
  • Meilleur réalisateur : André Téchiné
  • Meilleur scénario - Original ou adaptation : Olivier Massart, Gilles Taurand et André Téchiné
  • Meilleur espoir féminin : Elodie Bouchez

Nominations

César du cinéma 1995 :
  • Meilleur espoir masculin : Frédéric Gorny, Gaël Morel et Stéphane Rideau.
  • Meilleure actrice dans un second rôle : Michèle Moretti
Le film est choisi comme contribution française pour l'Oscar du meilleur film étranger.

Sélection

Le film est sélectionné en 1994 à Un certain regard au festival de Cannes




dimanche 23 novembre 2014

***


Hugo Pratt, Corto Maltese - Les Ethiopiques

«Record du monde» pour une vente aux enchères d'une oeuvre concernant le héros de bande dessinée, avec une aquarelle vendue samedi à Paris 391.800 euros.
Datée de 1979 ( lot 344) était estimée entre 100.000 et 150.000 euros. Elle a été acquise par un collectionneur européen, a indiqué Artcurial dans un communiqué.

Ah mais! Ce banc va valoir très cher! D'ailleurs je crois que les cuistots l'ont attaché depuis ma découverte.

https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiB172iSlmrcB9-dhAN-LhyphenhyphenZqD1Dt3skSpcRPP1dAYLwBIHY7pFdJEteWrDTdKb0txF97ChPrMMcVL_YbZaZVubwW7NC9RgeN0vIqz1S5rrpQobFR0GYtwy4Pj2XGX5fcl5B80lZwZQSp-S/s1600/DSC09995.JPG

mercredi 19 novembre 2014

"Cher petit carnet!... Cher miroir de mon coeur d'enfant!"

Dimanche des Rameaux [1896]
J'ai acheté, ou plutôt Mame m'a donné, un autre cahier où j'écris jour par jour ce qui me passe par la tête. Celui-là ne me servira donc qu'à copier ou écrire ce que je trouve bien dans ce que je lis, les vers, les mots drôles. Voilà. Si vous voulez de plus amples informations, passez au premier tiroir de mon petit meuble empire. Vous y trouverez mon cahier noir où j'écris tout.
Voilà!
Catha.

Mardi 31 mars [1896]
Hier, je suis montée à cheval avec Valérie. M. Pellier a dit que nous serions bientôt assez fortes pour aller au cours de jeunes filles. Je me suis beaucoup amusée. J'ai un cheval très gentil, tout nouveau, on vient de l'acheter.
Je continue à avoir des ennuis avec cette buse de Fidelia. Un jour, elle m'a abîmé un joli vase, l'autre jour, elle me casse un broc elle renverse l'encre bleue et fait des taches sur mon joli tapis. C'est la seconde fois qu'elle renverse cette encre. Et encore, si elle le disait! Mais il faut que je m'en aperçoive, et alors, elle dit comme excuse : "Ah! mais il y a si longtemps que je l'ai fait!" Oh! quelle vie!!
  

Mercredi 1er avril [1896]
Je m'aperçois que j'ai été fort peu charitable dans ce que j'ai écrit hier à propos de Fidelia. Ah! quand me corrigerais-je de cette mauvaise habitude de toujours m'impatienter après elle, de l'appeler : "idiote", "imbécile", "oie", "buse"! Hélas! hélas! C'est aujourd'hui que je me confesse, et je n'ai fait que bien peu de progrès dans la vertu de patience. Mais aussi je veux faire bien pénitence, et être tout aujourd'hui d'une douceur exemplaire. Ah, mon Dieu, mon Dieu, aidez-moi à être bonne, au moins aujourd'hui. Que je me prépare à vous recevoir dignement. Donnez-moi le repentir de mes fautes, ô Saint-Esprit, faites-les-moi bien connaître toutes!
  

Lundi de Pâques [1896]
J'ai reçu ce matin une très gentille lettre de Jeannot*. Il commence vraiment à me manquer, ce vieux type. C'est tout autre chose d'être avec lui à se disputer, qu'avec Magali à faire de l'esprit.
Je jubile. Mes idées en politique sont très arrêtées, vous savez, et je déteste, j'exècre la république. Pourquoi?? Mais parce qu'elle tue la France!! Ce cabinet Bourgeois! Ah, l'horreur! Il commence à nous brouiller avec la Russie, il se moque pas mal de nos intérêts. Pourvu qu'il reste, lui, et qu'il vole l'argent du pays! Qu'il gruge le peuple, qu'il mette impôt sur impôt! Au fait, je ne sais pas ce qui n'a pas d'impôt! J'ai mon Tod... impôt sur les chiens! Jean a sa bicyclette, impôt sur les bicyclettes! Nous avons un appartement, impôt! Enfin, impôt sur les allumettes, sur les cigares, sur les boissons. Bref, nous sommes le pays le plus imposé de tous. Voilà pour soulager ma bile. Mais il fallait un dernier coup. Et Bourgeois l'a porté. Voilà pourquoi je jubile. Impôt sur le revenu!! Il va falloir dorénavant, dire, chaque année, ce qu'on a comme fortune. Ce que cela rapporte. Combien on a gagné l'année d'avant. Et, là-dessus, on imposera. Or, c'est très bien. Jusqu'ici, on avait bafoué ce qu'il y a de plus saint. On s'était moqué de la France. On s'était moqué du "droit des gens", et de la justice. La petite-bourgeoisie, elle qui avait fondé la république, avait regardé tout cela sans broncher. Maintenant, Bourgeois crie : "Sus au magot! Allons, mes fidèles compères, prenons-leur leur argent! Sus au revenu!!" Voilà pour te récompenser, chère petite-bourgeoisie! Chers marchands de drap, chers coiffeurs, chers tailleurs, chers épiciers! Qu'on lui ôte sa religion, bast! Ça lui est bien égal. Qu'on tue les pauvres. Ça ne lui fait pas de mal. Mais maintenant! C'est à son argent, c'est à son or, c'est à son dieu qu'on va s'en prendre!! "Ah, mais non!" dit-elle. Et elle se révolte. Vous avez entendu parler du conflit entre le Sénat et la Chambre. Eh bien, le Sénat a perdu, Bourgeois a gagné. Car, vraiment, on ne peut pas dire que Félix Faure soit le président de la république. Le véritable président, c'est Bourgeois. Mais partout où Faure se promène, maintenant on [n'] entend que : "Vive le Sénat, vive le Sénat!!" Et le cabinet Bourgeois fait un nez! Voilà pourquoi je jubile. Et je dis en finissant : "A bas Bourgeois! A bas la république!! Vive le roi!!!!!!"

* Cette lettre signée de son "vieux type de frère" accompagnait une aquarelle représentant un steamer, dédié à sa "chère sœur".


Vendredi 1er mai [1896]
Ce soir. Eh bien? Et la Révolution????? Comment, me direz-vous, mais elle doit "battre son plein"!
Ah, ouiche! De Révolution, pas plus que sur ma main! Tant mieux ou tant pis?? Le nouveau ministère est définitivement organisé. Est-ce que ce cher M. Méline* tiendra longtemps? Eh, eh, je crains bien que non. Mais ça ne fait pas l'affaire des radicaux et des socialistes. "Qui vivra verra"! Sur cette judicieuse remarque, je pose ma plume. Bonsoir!!!

*C'est Félix-Jules Méline qui prononça le discours contre le projet d'impôt sur le revenu qui entraîna la chute du cabinet Bourgeois.

Catherine Pozzi, in Journal de jeunesse, 1893-1906, édition établie et notifiée par Claire Paulhan, 1995.

Ce "Journal de jeunesse constitue son premier journal intime, tenu de dix à vingt-quatre ans... Les manuscrits de ce Journal se trouvent encore chez les descendants de Catherine Pozzi, mais il existe un fonds d'archives qui porte son nom au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale : y ont été déposés, selon la volonté de Catherine Pozzi, tout ce qui concerne (et en particulier son Journal d'adulte) la période de sa liaison avec Paul Valéry (de 1920 à 1928) et certaines pièces complémentaires ou annexes)."

Catherine Pozzi avait treize ans!!! lorsqu'elle écrivit les extraits ci-dessus. La lecture de ce Journal me procure une exquise jubilation : Ah, ouiche! J'attends de voir si le style est resté aussi spontané les années suivantes. J'y reviendrai donc. J'en avais déjà parlé ici. Je ne regrette pas de m'être plongée dans la lecture de cet ouvrage.
Elle signe parfois ce qu'elle écrit dans son Journal de son prénom ou de petits noms correspondant à son humeur : Catherine ou Catha, ou Catharinette. Et quand elle termine par...  : 
"Aïe, aïe, aïe! Il est déjà 10 heures du matin et je n'ai pas encore commencé à me laver!! Bonjour!"
... je l'imagine faisant une pirouette ou un roulé-boulé en allant faire sa toilette [Rires].




 


lundi 17 novembre 2014

***

Je me réveille, épuisée par mes rêves. 
J'ai couru toute la nuit sans savoir où j'allais.

Dessin : Gilbert Pinna

vendredi 14 novembre 2014

Une dame indigne (^_*)

 

Hier je  profitais d'une accalmie pour prendre l'air le long de l'Odet. Les feuilles mortes, humides, parsemaient les allées. Devant moi, trois adolescents avançaient en shootant dans une canette vide. Au bout d'un moment celle-ci resta en plan derrière eux. Je fis alors ce que j'avais une folle envie de faire en les regardant, je shootai à mon tour dans cette canette qui atterrit à leurs pieds. Ils se retournèrent, ils s'attendaient sans doute à voir un "pote", leur regard exprima la stupéfaction : est-ce possible que ce soit cette "meuf" au cheveux gris et en baskets, qui joue au foot avec notre canette? Je leur fis un sourire et ils poursuivirent, indifférents - me semblait-il -, en donnant un coup de pied musclé dans la canette qui, cette fois, fit un plongeon dans la rivière. Ils se sont tout de même retournés pour voir ma réaction et nous avons tous éclaté de rire!
Je crois que je resterai une adolescente jusqu'à ma mort.

L'écrivain Henri Roorda, après avoir constaté que les « individus mâles de notre race » avaient toujours besoin de taper dans ce qui se présentait devant eux, écrivit cette sentence : « Lorsqu’un être normal aperçoit sur le bord de la route un galurin mélancolique, un panier défoncé ou un bidon sonore, il n’hésite pas : il refait le geste héréditaire. L’homme est essentiellement un joueur de football ». 

Ce doit être mon côté masculin et des réminiscences de jeux d'enfance avec mon frère. 

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Harold et Maude

dimanche 9 novembre 2014

Avec Nemanja Radulovic...

... Vilvaldi, ça déchire!


 

Découvert ce soir sur Arte (j'ai souvent un wagon - voire un train - de retard), 
ce jeune violoniste, Nemanja Radulovic,
 qui ne craint pas de coincer sa superbe crinière dans son archet.

"Confiez votre créativité à la nature, elle a tout écrit". (Alain Passard)



Que cherchez-vous à déceler chez les jeunes qui arrivent chez vous?

Je cherche à savoir où en sont leurs cinq sens.
Le premier, c'est la main, qui fait la différence entre les grands chefs et les autres. Je regarde la beauté de leur geste, ce que j'appelle la grâce : comment ils posent les produits, comment ils vont lâcher une fleur de sel, leur agilité... 
Je scrute ensuite leur regard. J'aime quand leur œil accroche vite, qu'ils observent le fond de la casserole.
Puis j'étudie leur oreille, pour voir s'ils savent écouter le chant du feu, d'une cuisson.
Enfin, pour le goût et l'odorat, j'évalue leur façon de goûter, je leur demande de corriger un assaisonnement olfactivement.

Ils doivent être déstabilisés...

C'est volontaire! [...] J'aime ces moments de déstabilisation où il faut chercher dans sa créativité pour retrouver un ancrage dans sa cuisine. Je leur ai toujours dit que nous étions à la fois des peintres, des danseurs, des sculpteurs... La première fois que je leur parle de ça, ils sont un peu perdus.
[...]
Il y a malheureusement peu d'endroits où on leur parle des sens. [...]. Chez moi, ils découvrent leur cinq sens avec plaisir. L'Arpège, c'est la Comédie-Française : quand ils arrivent, on les met aux pluches pour voir leur main et un jour ils entrent en scène avec le premier service, leur premier rôle.

(Alain Passard, la suite ici).

"J'ai toujours pensé que les cuisiniers étaient des artistes (*_*)", précisons : les grands chefs.
Et parfois les artistes sont de grands cuisiniers! Je me souviens de ton rôti de veau à la ventrèche et au foie gras... Oh là là...


 

vendredi 7 novembre 2014

"Je contemple souvent le ciel de ma mémoire" (Le Clown Lyrique)


Je démarre la journée par une visite de mes "favoris". Celui-ci m'a éblouie. Pas seulement par la première photographie, étourdissante, mais aussi par le regard - que l'on ne voie pas mais que l'on devine - des visiteuses du MoMa et des chérubins du Louvre.
Les choix du Clown Lyrique sont superbes, parfois troublants ou déstabilisants mais toujours font sens; et les titres choisis par l'auteur parlent d'eux-mêmes :

lundi 3 novembre 2014

"Vivre, c'est vieillir, rien de plus" (Simone de Beauvoir)




"Que nous ayons retrouvé une image plus ou moins convaincante, plus ou moins satisfaisante de nous-même, cette vieillesse que nous sommes incapable de réaliser, nous avons à la vivre. Et d'abord nous la vivons dans notre corps. Ce n'est pas lui qui nous la révèle; mais une fois que nous savons qu'elle l'habite, il nous inquiète. L'indifférence des gens âgés à l'égard de leur santé est plus apparente que réelle; si on y regarde de plus près, c'est de l'anxiété qu'on découvre en eux. [...]
On trouve chez quelques écrivains âgés des aveux de cette anxiété. Dans son Journal, le 10 juin 1892, Edmond de Goncourt évoque : "Des années épeurées, des journées anxieuses où un petit bobo ou un malaise nous font tout de suite penser à la mort." On sait qu'on résiste moins bien aux agressions extérieures, on se sent vulnérable : "Le désagrément d'être à un certain âge, c'est qu'au moindre malaise on se demande ce qui va vous tomber dessus", écrit Léautaud dans son Journal. Les altérations qu'on constate sont par elles-mêmes attristantes; et elles en présagent de plus définitives. "C'est l'usure, la ruine, la descente qui ne peut que s'accentuer", écrit encore Léautaud. [...]
[...]
Bien souvent le poids du corps compte moins que l'attitude adoptée à son égard. Voué à l'optimisme, Claudel écrit dans son Journal : "Quatre-vingts ans! Plus d'yeux, plus d'oreilles, plus de dents, plus de jambes, plus de souffle! Et c'est étonnant, somme toute, comme on arrive à s'en passer!" Accablé de maux, un homme comme Voltaire, à qui toute sa vie son corps a pesé, qui s'est déclaré moribond dès sa jeunesse, s'en arrange mieux qu'un autre. Il parle de lui à 70 ans et au-delà en s'appelant "le vieux malade", puis "l'octogénaire malade". C'est alors le point de vue de l'autre qu'il adopte sur soi, non sans se complaire dans son rôle; quand c'est chez lui le je qui parle, il se dit habitué à son état : "Il y a  quatre-vingt-un ans que je souffre, et que je vois tant souffrir et mourir autour de moi." Il écrit : "Le cœur ne vieillit pas, mais il est triste de le loger dans des ruines." Il constate : "J'éprouve toutes les calamités attachées à la décrépitude." Mais riche, glorieux, vénéré, plus actif que jamais, et passionné par ce qu'il écrit, il accepte sa condition avec sérénité : "Il est vrai que je suis un peu sourd, un peu aveugle, un peu impotent; le tout est surmonté de trois ou quatre infirmités abominables : mais rien ne m'ôte l'espérance."
D'autres au contraire aggravent leurs infirmités par ressentiment : "C'est un supplice de conserver intact son être intellectuel emprisonné dans une enveloppe matérielle usée", écrit Chateaubriand. Cette plainte fait écho à celle de Voltaire. Seulement celui-ci avait la chance de vivre en plein accord avec son époque et même de l'incarner, ce qui l'inclinait à un optimisme vital. [...]
[...]
Pour les gens qui ne veulent pas sombrer, être vieux c'est lutter contre la vieillesse. C'est là la dure nouveauté de leur condition : vivre ne va plus de soi. [...] Souvent l'homme âgé souffre de douleurs précises ou diffuses qui ôtent tout agrément à son existence. Colette était torturée par des rhumatismes. A une admiratrice qui la félicitait de sa célébrité, de son apparent bonheur, elle répondit : "Oui, mon enfant, mais il y a l'âge. - Mais à part l'âge? - Il y a l'âge." Ma mère a cruellement souffert d'une arthrite, dans les dernières années de sa vie, en dépit des dix cachets d'aspirine qu'elle avalait chaque jour. Celle de Sartre avait presque perdu le goût de vivre tant ses rhumatismes la tourmentaient. Même si l'individu âgé supporte ses maux avec résignation, ils s'interposent entre le monde et lui; ils sont le prix dont il paye la plupart de ses activités. Il ne peut donc plus céder à des caprices, suivre ses impulsions : il s'interroge sur les conséquences et il se trouve acculé à des choix. [...]
Pour le vieillard à qui sa situation économique laisse ouvertes diverses possibilités, la manière dont il réagit aux inconvénients de l'âge dépend de ses options antérieures; ceux qui ont de tout temps choisi la médiocrité n'auront pas beaucoup de mal à se ménager, à se réduire. J'ai connu un vieillard tout à fait adapté à son âge : mon grand-père paternel. Égoïste, superficiel, entre les activités creuses de sa maturité et l'inactivité de ses dernières années, il n'y avait pas beaucoup de distance. Il ne se surmenait pas, il n'avait pas de souci parce qu'il ne prenait pas grand chose à cœur : sa santé demeurait excellente. Peu à peu, ses promenades devinrent moins longues, il s'endormait plus souvent sur le Courrier du Centre. Il eut jusqu'à sa mort ce qu'on appelle "une belle vieillesse".
Seule une certaine pauvreté affective et intellectuelle, rend acceptable ce morne équilibre.* Il y a des individus qui ont passé toute leur existence à s'y préparer et qui y voient leur apogée."

Simone de Beauvoir, in La vieillesse, éditions Gallimard 1970

* Ce qui est en gras est de mon fait.



samedi 1 novembre 2014

"Autant d'heures de soleil à la Toussaint...

... Autant de semaines à souffler dans tes mains."
 (Dicton breton).

Je me demande si j'ai déjà vécu un premier novembre avec ce temps-là en Bretagne et des températures dépassant les 20°! Je ne m'en souviens pas.


Promeneuses contemplant la mer et quelques baigneurs

Le cimetière marin  est éblouissant. Les tombes généreusement fleuries dominent la baie et dressent fièrement leur stèle vers un ciel limpide qui se joue de la saison, vouée d'ordinaire à la pluie et au vent.



Hier j'écoutais une émission sur France Inter consacrée aux nouveaux rituels funéraires et j'apprenais avec surprise et intérêt qu'il existait maintenant des cercueils en carton (suffisamment solides pour être portés) pour l'incinération. Excellente idée qui réduit sérieusement le coût de la "boîte"! A quoi bon payer une fortune un cercueil qui va être brûlé. Tout ce qui concerne la mort est, pour certains, sacré. Est-ce sacrilège d'en parler sans tabou?
En revanche, proposer des bijoux "creux" (entendu à la radio ce matin) pour y déposer quelques cendres prélevées, à porter en boucle-d'oreilles ou autour du cou, relève - sinon du sacrilège - de l'ineptie, de la débilité.