mardi 29 novembre 2016

JOURNAL

Je me demande aujourd'hui comment j'ai pu poster mes derniers billets (sans intérêt) dans mon état vertigineux. Il est vrai que je m'obligeais, que je m'oblige toujours à faire quelque chose quand mon corps se dérobe comme si cela m'aidait à croire que je ne vais pas si mal; et pourtant... Peut-être est-ce cela La philosophie de l'effort, pensais-je en écoutant cette émission vendredi dernier.
Je pouvais écouter la radio et même lire un peu pendant ces trois dernières semaines éprouvantes. Assise tout allait mieux, mais debout j'étais comme sur un bateau, déséquilibrée, avec le mal de mer.
Je notais des phrases, des réflexions  que j'entendais à la radio, la plupart du temps sur France-Culture, parfois France-Inter, puis j'allais voir sur Internet la suite. Je notais tout ce qui me parlait... au gré de mon écoute, sans que les sujets n'aient aucune concordance :

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu'on froisse ?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ?

Charles Baudelaire, Réversibilité (extrait)

"L'amitié en tant que telle peut faire battre le cœur.
L'amitié est la relation la plus nécessairement réciproque, ce qui n'est pas toujours le cas de l'amour."

"Je ne parle pas aux cons, ça les instruit." (Michel Audiard). 

Quand je n'écoutais pas la radio, je lisais un peu, pas très longtemps. J'avais emprunté un petit ouvrage dans une belle édition : Le Carnet du chat sauvage de Charles-Albert Cingria avec des dessins de Alechinsky. Reposant, j'en ai fait une bouchée. Commencé un roman d'un autre auteur Suisse : Justice de Friedrich Dürrenmatt, un écrivain et peintre dont j'ai déjà parlé ici.

Et puis, il y a huit jours, je n'en pouvais plus de ne pas bouger, de me confiner dans l'appartement, j'ai fait l'effort d'aller au cinéma. Mauvaise idée, non pas pour le film (quoique j'ai été un peu déçue : confus, mélo, long... ce n'est que mon avis) mais parce que la caméra bougeait sans arrêt et, dans mon état, il n'en fallait pas plus pour me donner la nausée. Bon, j'ai tenu le coup mais je suis sortie chancelante. Le film : Le client, du cinéaste iranien Asghar Farhadi.

Deux jours plus tard, vendredi dernier, déraisonnable, je décidais d'aller faire quelques trous au golf, en portant mon collier cervical!!! Je n'ai pas eu de vertiges, j'ai pu faire sept trous en swinguant comme une vieille, j'avais de plus le dos bloqué. J'avais pris l'air, je n'étais pas plus mal en point après qu'avant.

Le lendemain, samedi, j'allais de nouveau au cinéma mais cette fois pour un film de une heure et quart. Un film dont il faut connaître le sujet avant de s'y aventurer. Un film animé sur la "vieillitude" (=vieillesse/solitude). Un beau film doux, bouleversant, lent, des images comme des tableaux; parfois déchirant si l'on se sent impliqué par le sujet. Deux spectatrices ont quitté la salle (à moitié vide, séance de 14 heures) avant la fin (une âgée et une jeune). Cette vieille femme abandonnée (vivant d'espoir) qui ne baisse jamais les bras est délicieuse (j'ai trouvé cependant que le doublage de sa voix par Catherine Frot était un peu monotone et  manquait de vigueur alors que le personnage en débordait, même dans sa lenteur. (Ce qui n'est pas l'avis de G. Odicino dans le lien ci-dessous).
"Louise en hiver, le cinquième long métrage de Jean-François Laguionie, est le plus beau des voyages immobiles, à la fois invitation à la vie et flirt facétieux avec la mort." 
Synopsis : 
À la fin de l'été, Louise voit le dernier train de la saison qui dessert la petite station balnéaire de Biligen, partir sans elle. La ville est désertée. Le temps rapidement se dégrade, les grandes marées d'équinoxe surviennent condamnant électricité et moyens de communication. Fragile et coquette, bien moins armée que Robinson, Louise ne devrait pas survivre à l'hiver. Mais elle n'a pas peur et considère son abandon comme un pari. Elle va apprivoiser les éléments naturels et la solitude. Ses souvenirs profitent de l'occasion pour s'inviter dans l'aventure.
J'en suis sortie cette fois sans nausée, avec le sourire, l'impression d'être sur un nuage... enveloppée tout de même de mélancolie.
Je rentrais à pieds sous un ciel sombre, par la rive droite, côté Cap-Horn.




Le lendemain, dimanche, j'allais faire quelques trous, sans minerve. Je swinguais toujours comme une vieille, avec les bras, sans pivoter, comptant sur le paracétamol pour m'aider à jouer. Puis au quatrième trou, léger vertige. J'ai dû aller directement au 9 pour terminer, avec mal au cœur. Bien fait pour moi! Je croisais un ami qui était sur le 1. 

Il fallait que je bouge, je dois - je crois - apprendre à vivre dans cet état quasi permanent d'ébriété, me faire à cette idée, continuer de vivre comme si c'était normal.

Hier, lundi, le temps (comme aujourd'hui) était magnifique : sec, ensoleillé, vent d'Est cinglant.  J'allais prendre l'air au bord de la mer.



Ça caillait vraiment. Je pensais qu'un bon thé sur le port allait certainement me dégeler; mais cette fois, c'était bien la fin de saison. Il faudra attendre Noël ... pour se réchauffer, tous les bistrots étaient fermés.




Face au soleil, je "capturais" cette femme sur le banc...


... je retournais à ma voiture. J'avais froid. 
Nous étions le 28 novembre (*_*) et la circulation était fluide!






vendredi 25 novembre 2016

Hey-ho... oh yeah!



 Yeah!
Ça swingue! avec... Ray Charles
Heeyyy- hooooooooooo
... that is all right...

But the best is here!

mercredi 23 novembre 2016

HONTEUX !


"Admise aux urgences, elle se retrouve à la rue..." à 83 ans.

Il ne faut pas pas vieillir à Quimper dans le Finistère! Mais ailleurs, dans les hôpitaux, est-ce mieux?
J'ai vécu une situation à peu près semblable (lien ci-dessus) lors d'une violente crise de Menière, de plus un jour de canicule. Vertiges rotatoires, ne pas tenir debout, nausées, vomissements... solitude... déshydratation. J'appelle les Pompiers à 23h45 après douze heures de vertiges et alitée, ils arrivent parfois plus vite que le SAMU. Enfin, des humains attentifs, attentionnés... Hospitalisation aux urgences de cet hôpital à minuit. Après une heure d'attente avec le machin pour vomir, perfusion pour hydrater. Sur un brancard, dur comme la pierre, sans oreiller, j'y passe la nuit.  A 8 heures passe un interne : vous allez bien, vous pouvez rentrer chez vous. (En survêtement et pantoufles). On ne me propose pas de taxi-ambulance. Personne pour venir me chercher. Je demande à l'infirmière de m'appeler un taxi, s'il vous plaît. Je n'avais aucun numéro de taxis de Quimper sur mon portable (j'en ai de taxis parisiens, un comble). Elle le fait, à contrecœur. J'étais épuisée, déboussolée. Je me dirige vers la sortie, je m'assoie sur un mur de pierres, j'ai peur d'avoir la nausée. Je pleure, j'ai attendu le taxi quarante-cinq minutes, il était dix heures, il n'est jamais arrivé. J'ai abandonné. Je ne raconte pas la suite... et je n'ai pas 83 ans! Et ce que j'ai vécu là n'est rien sans doute à côté de cas plus désespérants, sauf que sur le moment, j'avais juste envie de mourir.

Ce n'est pas le premier fait divers sur le même sujet qui s'est passé à cet hôpital et cela me conforte dans mes décisions. Ne pas attendre d'avoir 83 ans, loin de là, pour ne pas passer ma DERNIÈRE nuit sur un brancard *. Le faire, avant de perdre la tête. Comment ne pas y penser, en lisant ce énième témoignage..., quand on vieillit seul(e).

La conclusion de l'affaire est ahurissante :

"Le Centre hospitalier de Cornouaille signale que « la patiente pourra être reçue à l’hôpital, faire part de ses remarques et s’adresser à la commission des usagers », sans donner plus d’explications sur les causes de la mésaventure."

* "Le malaise de l'hôpital, est un sujet qui touche les gens et vécu par nombre de malades, d'autant qu'un patient de 89 ans est décédé récemment sur un brancard dans ce même hôpital." [Hôpital La Cavale Blanche à Brest].
 

D'autres témoignages ici et ... et il doit en exister de nombreux!

C'est mon coup de gueule du jour.

mardi 22 novembre 2016

Tous les jours, le bonheur

 

Photo de couverture, joueur de cesta punta.
Photographe Gjon Mili

 "Ce furent des années merveilleuses. Quatre années prodigieuses durant lesquelles je fus soumis à un apprentissage fulgurant et une pratique intense du bonheur. Il m'avait fallu attendre vingt-huit ans pour éprouver chaque jour cette joie d'être en vie au petit matin, de courir pour polir mon souffle, de respirer librement, de nager sans peur, et de ne rien espérer d'autre d'une journée sinon qu'elle m'accompagne comme l'on promène une ombre et que le soir venu elle me laisse en l'état, simplement satisfait, abruti de quiétude et de paix loin de ce territoire désarticulé que j'avais abandonné [...]."

Première page.
[...]
Depuis que le monde était monde , il y avait toujours eu deux façons de le considérer. La première consistait à le voir comme un espace-temps de lumière rare, précieuse et bénie, rayonnant dans un univers enténébré, la seconde,  à le tenir pour la porte d'entrée d'un bordel mal éclairé, un trou noir vertigineux qui depuis sa création avait avalé 108 milliards d'humains espérants et vaniteux au point de se croire pourvus d'une âme. La médecine ne traitait pas ce genre de question. Pour elle, l'ongle incarné primait toujours sur l'herméneutique.  Comme disait l'un de mes professeurs pour casser les reins de quelques internes pressés d'en découdre : "Nous ne sommes là que pour assurer une zone de moindre inconfort entre les griffes du forceps et celles de la broyeuse."
Page 224.
Jean-Paul Dubois, in La succession, éditions de l'Olivier, 2016.
 Citation en exergue de l'ouvrage :
C'est un plaisir de me tenir devant vous.
C'est surtout un plaisir de me tenir debout.
George Best
4e de couverture.
"Jean-Paul Dubois a l'oeil et le verbe acérés, un sens aigu du dérisoire de l'existence. Et l'on s'attache à ce personnage fondamentalement intranquille qui tente désespérément de jouir de la beauté du monde et de l'instant — la lumière d'un petit matin sur la mer ou le regard énamouré d'un chien — dont Dubois sait si bien faire vibrer la grâce et la fragilité. « Je prenais chaque jour comme un bonheur simplifié », écrit le narrateur.[...]
On rit et on pleure de tout cela, une fois encore, sans savoir si l'auteur invente ou s'inspire de la fantaisie du réel et l'on apprécie hautement l'exercice de funambule entre légèreté, cocasserie et gravité."
Michel Abescat, Télérama.

Rien à ajouter : beaucoup aimé ce livre en clair-obscur, où l'on passe de la lumière à l'ombre. Les pages avec le chien Watson sont magnifiques. Une douce mélancolie qui me touche, évidemment!

Interview de l'auteur ici. E-pa-tant.(Avec une belle photo!).

lundi 21 novembre 2016

Demandez le programme

Premier cours de la rentrée.

"Un élève de terminale demande à son professeur de philosophie  :
- La mort est-elle au programme cette année?
- Non, répond le professeur."

Et pourtant,  la mort est TOUJOURS au programme... de la vie. Je réécoutais  ce soir cette émission, prostrée dans mon  canapé par une crise de vertiges qui ne passe pas depuis plus de dix jours.

samedi 12 novembre 2016

Dis-moi comment tu joues et je te dirais qui tu es

Et si Hillary avait perdu... parce-qu'elle ne joue pas au golf? (0_0) 

"Quinze des dix-huit derniers présidents des États-Unis étaient des golfeurs acharnés." 
Dont Bill Clinton, totalement accro au golf, surnommé Billigan (cf. Mulligan). Le Mulligan est autorisé en partie amicale, si les partenaires sont d'accord, en général au départ du tee n° 1, une seule fois. Quand il ne retrouvait pas ses balles, Billigan sortait discrètement une balle de sa poche. "Son compagnon démocrate, Bob Dole avait joliment déclaré en 1996 : "Aujourd'hui je ne sais pas s'il a joué 83 comme il le dit, ou 283, voire même 483".""
Hillary Clinton, son épouse ne joue pas au golf, elle l'accompagnait parfois sur les greens.
Quant à Georges W. Bush... Mmm! Voici "les propos hallucinants qu'il prononce lors d'une conférence de presse improvisée en 2002, alors qu'il s'apprête à entamer une partie de golf. Les prédications du président alors en exercice (2001-2009), davantage concerné par son swing que par celui de la planète" :




"J'appelle les nations à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter ces attaques terroristes. Et maintenant, regardez ce drive."
"Le King Arnold Palmer, récemment disparu, a eu l'honneur de jouer avec plusieurs présidents. Plutôt que de s'attarder sur les tares et autres déviances des plus loufoques d'entre eux, il avait comme à son habitude pris le parti de ne retirer que le positif de ces rencontres. Celui qui l'a le plus impressionné? Gerald Ford (1974-1977). «Chaque fois qu'on voulait lui donner un putt (une pratique régulière sur putts très courts en partie amicale), il refusait et tenait absolument à le jouer.»
"John Fitzgerald Kennedy (1961-1963) était le meilleur de tous, avec un index estimé à 8 en dépit de douleurs dorsales difficilement supportables."

(Source Le Temps.ch, article complet)

Donald Trump, lui, possède carrément plusieurs parcours... S'il est aussi violent avec ses clubs qu'on a pu le voir, ailleurs, pendant sa campagne... Et dire qu'il a été élu! Jouer avec Barack Obama (index 13)... je veux bien, même tenir le drapeau quand il est en vacances. Attention, gaucher, ne pas le gêner en restant dans son dos.

Tout de même, ils ont de la chance d'avoir un caddie : pas de sac à porter, pas de chariot à pousser (je n'en peux plus). 

jeudi 10 novembre 2016

Des arbres remarquables et un calvaire... transparent

Vertigineuse depuis deux jours, je me décidais tout de même, le pas mal assuré, à prendre l'air en faisant quelques trous sur le Pitch & Putt. Ne pas bouger ni baisser la tête et ça devrait bien se passer. Deux parties de deux venaient de prendre le départ, j'attendais mon tour, avec un autre joueur. Ce dernier proposa de m'accompagner plutôt que d'attendre seul à chaque trou derrière les deux parties. Nous avions déjà joué ensemble une fois; je me souvenais qu'il ne quittait son "vaporetto" que pour taper sa balle; son vapotage ne me dérangeait pas. 
Les 9 trous terminés il était prêt à repartir pour un deuxième tour, mais je déclinais son offre. Sur le parcours mes vertiges n'avaient pas disparus et il valait mieux que j'arrête. Du coup, il ne repartit pas non plus.
En retournant vers le parking, je lui dis que j'avais laissé ma voiture devant le club-house pour pouvoir nettoyer mon chariot et mes chaussures (bien crottés) mais aussi parce que je voulais prendre en photo le calvaire (une croix toute simple que je trouvais belle).
- Ah! il y a un calvaire ici? où ça? me demanda-t-il.
- Mais oui, il est difficile de le rater, lui dis-je. Il est à l'entrée de l'allée qui mène au club-house, juste à l'angle.
- Je ne l'ai jamais remarqué...
Et moi, chaque fois que je prends cette allée, je ne vois que lui. Je ne vois que cette croix, épurée, sans Christ. Et chaque fois, sous n'importe quelle lumière, elle capte mon regard. Aujourd'hui, dans cette ambiance automnale, elle était encore plus belle.
Combien sont-ils (elles) ces golfeurs (golfeuses) à passer devant, - obligatoirement si l'on va au parking du grand parcours (et mon partenaire de ce jour y va deux fois par semaine) - et à l'occulter? La majorité, sans doute. Les golfeurs sont rarement des contemplatifs et pourtant, en ce moment, ça vaut vraiment le coup, quand on n'est pas sur le parcours (et même quand on y est), de prendre le temps de regarder ce bel environnement.


(Cliquer pour agrandir)


"Dans le parc se trouve un intéressant parcours de découverte botanique. Certains arbres sont plus que centenaires,  une dizaine sont classés remarquables par leur âge, leur taille ou leur rareté. Près des bâtiments il y a un fruticetum,  collection de 250 arbustes regroupés en carrés [...]. Dans l’esprit pionnier qui anima le XIXe siècle en termes d’essais botaniques (les espèces arrivées des colonies par Brest),  des plants du Chili, de Chine, de Nouvelle-Zélande, etc., ont été introduits près de l’étang, pour assurer un renouvellement original des arbres.
[...]"





mardi 1 novembre 2016

"Et je n'ai rencontré qu'un seul être qui ne voulait pas mourir"




"Des fleurs, des milliers de fleurs"


Le Fossoyeur
1903

A San Rocco, le vieux fossoyeur était mort.
Tous les jours, dans les rues, on annonçait que sa place était à prendre. Trois ou quatre semaines s’étaient écoulées et personne ne s’était présenté. Mais personne non plus n’était mort à San Rocco. Donc, rien ne pressait. On avait le temps, on attendait. On attendait… Un soir de mai, un étranger arriva dans la ville et prit l’emploi. C’est Gita, la fille de Podesta, qui l’aperçut la première. Il sortait de la chambre de son père (elle ne l’avait pas vu entrer). Il vint droit vers elle comme s’il s’attendait vraiment à la rencontrer dans ce couloir obscur.
-          Tu es sa fille, n’est-ce pas ? lui demanda-t-il d’une voix douce, avec un accent étranger.
Gita approuva de la tête et suivit l’homme jusqu’à l’une des fenêtres d’où glissait la clarté et le calme de la rue crépusculaire. Là, ils se regardèrent avec attention. Gita se perdit si profondément dans le regard de l’étranger qu’elle n’eut pas l’idée, d’abord, que lui aussi, debout devant elle, pouvait l’observer. C’était un homme grand et mince, vêtu d’un costume de voyage noir, de coupe étrange. Il avait des cheveux blonds, coiffés à la façon des nobles. D’ailleurs, quelque chose en lui trahissait le gentilhomme. Magistrat ou médecin ? Curieux qu’il fut un simple fossoyeur. D’instinct, elle cherchait à lui prendre les mains : il les lui tendit, toutes deux, comme un enfant.

-          La besogne n’est pas difficile, dit-il. Elle regardait ses mains, rien que ses mains, pourtant, elle sentait le sourire de ses lèvres qui l’enveloppait comme un rayon de soleil.

Ils allèrent ensemble jusqu’à la porte. Il faisait presque nuit dans la rue.

-          Est-ce loin ? dit l’étranger et il suivit les maisons des yeux jusqu’au fond de la rue : elle était complètement vide.

-          Non, pas très loin, mais je vais te conduire ! Tu n’es pas d’ici, tu ne peux connaître le chemin.

-          Le connais-tu ? demanda l’homme gravement.

-          Oh oui ! Toute petite, j’ai appris à le suivre. Il mène jusqu’à ma mère, qui nous a été ravie si tôt. Elle repose là-bas, hors de la ville ; je te montrerai l’endroit.

Ils partirent sans rien dire et leurs pas se confondaient dans le silence de la nuit. Soudain, l’homme noir demanda :

-          Quel âge as-tu, Gita ?

-           Seize ans, dit l’enfant, et elle se redressa légèrement. Seize ans et chaque jour un peu plus.

-          Et toi, demanda-t-elle en souriant aussi, quel âge as-tu ?

-          Je suis plus âgé que toi, Gita, deux fois plus âgé que toi, et chaque jour beaucoup, beaucoup plus.

Ils étaient arrivés devant le cimetière.

-          Voilà la maison où tu dois habiter, près du dépositoire, dit-elle en montrant à travers les grilles du portail, à l’autre extrémité du cimetière, une maisonnette que le lierre couvrait.

[…]

-          Tiens, tiens, c’est donc ici. Mon prédécesseur devait être très âgé.

-           Oui, il était très vieux. Il habitait là avec sa femme, très vieille aussi. Elle est partie tout de suite après sa mort, je ne sais où.

-          Tiens, dit l’étranger et il sembla penser à autre chose. Puis se tournant vers Gita : maintenant, il faut que tu t’en ailles, mon enfant, il se fait tard. Tu n’as pas peur de rentrer seule ?

-           Oh, non ! je suis toujours seule. Mais toi, tu n’auras pas peur de rester ici ?

L’étranger secoua la tête, saisit la main de la fillette, et la serra avec un peu de fermeté : moi aussi, je suis toujours seul – dit-il à voix basse ; alors, l’enfant, haletante, lui chuchota : - Écoute ! Un rossignol s’était mis à chanter dans la haie épineuse du cimetière. Ce chant sonore montait, les entourait, et les baignait de nostalgie et de félicité.
Dès le lendemain matin, le nouveau fossoyeur de San Rocco entrait en fonction. Il avait de son métier une conception assez étrange. Il transforma tout le cimetière en un vaste jardin. Les vieilles tombes oublièrent leur tristesse sous les fleurs épanouies et les vrilles ondoyantes. De l’autre côté de l’allée centrale, il n’y eut jusqu’à présent qu’une pelouse nue, inculte. Il y disposa un grand nombre de plates-bandes, pareilles aux tombes. Les deux parties du cimetière furent ainsi groupées en un ensemble harmonieux. Et les gens qui venaient de la ville avaient parfois de la peine à retrouver leurs chères tombes. Il arrivait même qu’une vieille bonne femme s’agenouillât et pleurât devant une de ces plates-bandes vides. Mais sa prière n’était pas perdue pour son fils qui reposait plus loin, sous de claires anémones.
Et les gens de San Rocco, en voyant leur cimetière, sentaient un peu moins le poids de la mort. Quand quelqu’un s’en allait – et en ce printemps mémorable, la mort frappa surtout des gens âgés – le chemin du cimetière paraissait toujours long et désolant, mais là-bas, tout revêtait, maintenant, l’aspect d’une petite fête silencieuse. On aurait dit que les fleurs venaient de tous côtés pour se placer sur la fosse obscure comme si la bouche noire de la terre ne s’ouvrait plus que pour dire : des fleurs, des milliers de fleurs.
[…]

-          […] Il y a chez nous un vieillard qui raconte l’histoire d’une petite île où la mer amena tant de morts qu’il ne resta plus de place pour les vivants. Ils étaient comme assiégés par les cadavres ? Ce n’est peut-être qu’une histoire et ce vieux conteur est peut-être fou. Quant à moi, je n’y crois. Je pense que la vie est plus forte que la mort.

Gita se tut, puis :

-          Maman est bien morte, pourtant.

L’étranger s’arrêta, appuyé sur sa bêche :

-          Moi aussi, je connais une femme qui est morte. Mais elle l’a voulu.

-          Oui, dit Gita gravement, je comprends qu’on puisse le désirer.

-           La plupart des gens le désirent et c’est pourquoi ceux qui veulent vivre meurent aussi ; ils meurent avec les autres, emportés, arrachés malgré eux. J’ai vu beaucoup de pays, Gita, j’ai parlé avec beaucoup de gens, je leur ai demandé quels étaient leurs vœux. Et je n’ai rencontré qu’un seul être qui ne voulait pas mourir. Quelques-uns, évidemment, disaient le contraire et c’était la peur qui les faisait parler. Mais que ne disent les hommes ? Derrière leurs paroles il y avait leur volonté muette qui pesait vers la mort, comme le fruit qui tombe de l’arbre. Il n’y a rien à faire.
[...]
[...]
Les questions de Gita, et les réponses de l'étranger étaient suivies de longs silences pendant lesquels les choses parlaient.
- Je vais te raconter l’histoire d'un homme qui perdit sa femme chérie, dit l'étranger après un de ces silences, et ses mains jointes tremblaient. C’était l'automne et il savait qu'elle allait mourir. Les médecins le lui disaient. Ils pouvaient se tromper. Mais la femme l'avait dit bien avant eux. Et elle ne se trompait pas.
- Est-ce qu'elle voulait mourir? demanda Gita à l'étranger qui s'était tu.
- Elle voulait mourir, Gita. Elle voulait autre chose que vivre. Il y avait toujours trop de gens autour d'elle, elle voulait être seule. C'est cela qu'elle voulait. Dans son enfance, elle n'avait pas été seule, comme toi; une fois mariée, elle sut qu'elle était seule, mais elle aurait voulu être seule sans le savoir.
[...]

(Extraits des cinq premières pages du Récit de dix pages).

Traduction d'Hélène Zylberberg et Louis Desportes 

Rainer Maria Rilke, in PROSE, Récit divers, éditions du Seuil, 1966.