vendredi 9 décembre 2016

Beaucoup, beaucoup, beaucoup trop sérieux

C'est sûr, ça manquait un peu de lumière cet après-midi!

Photos du jour


Ma partenaire me regardait prendre cette photo et me dit :
Il est ridicule ce sapin.
En fait, c'est moi qu'elle trouvait ridicule, je le sentais. Mais, le sapin aussi elle le trouvait ridicule.
Ça me plaisait encore plus de le prendre et je le trouvais doublement intéressant, insolite voire absurde dans cette herbe sèche près des bâtiments en ruines.
J'imaginais les jardiniers du golf qui l'avaient planté là puis décoré de boules et de guirlandes. Ils ont dû bien s'amuser. A vrai dire, je ne me souvenais plus si le sapin était déjà planté là ou s'ils l'avaient planté pour Noël? A vérifier après les (horribles) fêtes. Je penche pour l'idée qu'il était déjà là, bien enraciné : insolite, charmant, délicieux, troublant, n'ayant rien à faire là mais imposant sa présence. Non mais!

Je répliquais :
Je ne trouve pas qu'il soit ridicule. Il est insolite.  J'aime ce qui est insolite, ce qui surprend. Et je marmonnais intérieurement : j'aime ce qui n'est pas classique, j'aime ce qui interloque, dérange, déconcerte et même (et encore plus) ce qui est absurde

Quelques trous plus loin, celui ci-dessous. Je le prenais en photo à toute vitesse. Je ne lui demandais pas si elle le (ou me) trouvait ridicule, elle ne disait rien et s'avançait rapidement vers le tee de départ du 9. Nous venions de jouer square (à égalité) sur le trou précédent, elle n'aimait pas ça; elle avait pourtant déjà gagné le match-play au trou n°7... mais elle n'avait pas gagné tous les trous car aujourd'hui, j'avais enfin osé lui dire (avant de putter sur le 2) que si elle voulait faire un match-play elle devait me rendre  des points. J'en avais marre de faire des match-plays à chaque fois qu'on jouait ensemble, qu'elle me l'annonce au deuxième trou quand elle était déjà one up (premier trou de gagné, quoique aujourd'hui c'était moi qui étais one up) et qu'elle ne me rende pas de points (j'étais allée vérifier sur Internet, combien elle devait me rendre sur 9 trous) Elle répliqua : Oh! tu as vu comment je joue en ce moment? Je répondais : et alors, en match-play on doit rendre des points; sur 18 trous tu devrais m'en rendre 7, la moitié sur 9 trous. Ok, je t'en rends 3 sur les derniers trous (les plus difficiles, ce qui était normal; un petit coup de pouce et elle m'aurait rendu 4 mais bon, 3 me convenait). Même en me rendant des points elle a gagné; c'est sûr elle est plus forte que moi.
Au club-house je l'invitais à prendre un café. Je lui disais qu'il y avait une belle chronique  dans le dernier numéro (gratuit au golf) du magazine Journal du golf et qu'elle devrait le lire. C'était amusant. Mmm!




Extrait, Chronique de Pierre-Michel Bonnot, Journal du golf :

"Narcisse s'était insensiblement laissé gagner par le syndrome de l'ego-golfeur, un mal insidieux qui vous transforme en huître* des fairways. Passionné jusqu'à la déraison de ces technologies de pointe destinées par un habile principe de vases communicants, à vous bourrer le crâne en vous vidant les poches, il s'était peu à peu coupé du monde des vivants [...]
Analyseur de swing relié à son portable, capteurs dans le gant, le grip des clubs, jusque dans les semelles de ses chaussures. [...]
Le pire c'est que ce nombriliste monde du silence lui convenait parfaitement. [...] il avait rapidement grimpé les échelons de la hiérarchie régionale jusqu'à devenir le meilleur joueur de sa génération.
Le plus seul aussi.
[...]
Et puis, au matin de Noël, il s'était trouvé contraint de jouer la demi-finale de l'interminable Coupe de match-play de l'Old Fart GC en compagnie de l'irascible Colonel Molle.
Le rigide militaire, auquel ce blanc-bec n'allait certainement pas apprendre ni les bonnes manières ni les bases stratégiques du match-play, avait choisi de traiter l'indifférent par le plus souverain des mépris**. [...] Bref, le Colonel avait joué sur toute la gamme de ce que les Anglais nomment "gamemanship" et qu'on pourrait traduire par "fourberie".
Rien n'y avait fait. Narcisse Legabelou était beaucoup trop fort. Et surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup trop sérieux. Le Colonnel, poussé dans ses derniers retranchements dès son drive initial, avait attendu que ça passe, que le gamin tente enfin un coup impossible, qu'il se prenne pour un autre, qu'il attaque le green du 8 en deux par-dessus la mare à moitié gelée. Rien. Sérieux comme un pape et sourd comme un pot, Narcisse traçait sa route.

"On s'emmerde non?"
Ça lui était sorti du fond de l'âme. Cinq trous qu'il venait de perdre de rang, pas un cil du gamin ne bougeait, le Colonel recru d'épreuves, fatigué des entreprises et sentant venir la froideur de tombeau d'une fin de journée, était depuis un moment déjà fatigué des entreprises et résolu à se retirer en bon ordre sur la base soigneusement préparée à l'avance d'un double grog fumant.

Sans un mot, sans un adieu, sans même lui serrer la main, il avait planté là l'adolescent lointain.
[...]"

* (ou en bavard pour vous déstabiliser. Rajout personnel)
** Je n'en étais tout de même pas à ce stade avec ma partenaire. Je serais de mauvaise foi de la comparer à ce Legabelou, mais, mais, mais... je préfère ne pas imaginer l'ambiance d'une vraie compétition en match-play. Il faut savoir - sans en avoir l'air - déstabiliser la partenaire et avoir - comme a dit l'autre jour son "coach" qui nous accompagnait - "la gagne". Cette expression m'a fait frémir. Je l'avais oubliée depuis longtemps. Je n'avais plus envie que de me réjouir, seule ou pas, quand je faisais un joli coup, envie de calme, de douceur, de petits sapins enguirlandés, là où on ne les attend pas, un peu comme les rencontres de hasard...