samedi 3 octobre 2015

De l'infiniment petit au monumental

http://www.ville-landerneau.fr/var/ptic/storage/images/bienvenue-a-landerneau/en-ville2/actualites/exposition-giacometti-aux-capucins/164960-1-fre-FR/Exposition-Giacometti-aux-Capucins_zoom_colorbox.jpg 



Pour celles et ceux qui passeraient par Landerneau, vous avez encore un mois pour voir cette exposition qui vaut le tour et le détour : Aux Capucins.



"Le problème pour moi est de savoir pourquoi il m'est impossible de faire ce que je veux faire. Tous les soirs je tente de savoir ce que je vois et pourquoi je n'arrive pas à me le représenter."
Alberto Giacometti, entretien avec Marie-Thérèse Maugis, 1964.

Si je tarde à parler de cette exposition que j'ai vue il y a un mois, c'est parce que je m'en sens incapable, je ne sais par où commencer. J'ai passé un temps fou dans cet espace magnifique ! Il faut dire que j'ai passé aussi un peu de temps, assise, à regarder film et vidéo, par intérêt mais - ne le cachons pas - pour me reposer. J'aurais bien fait parfois comme ces enfants (pas du tout perturbateurs cette fois) et me serais assise par-terre si j'avais été sûre de pouvoir me relever. Hi!

Bref, j'ai envie de dire aux lecteurs de ce blog billet : ne vous attardez pas sur la suite mais cliquez directement sur ce lien pour y découvrir l’œuvre de Giacometti avec de superbes reproductions en images (cliquer sur les photos du lien pour avoir les légendes) et une bibliographie complète plus intéressante que tout ce que je pourrais rédiger ou recopier ici!  


La Jambe, 1958. Plâtre.

Je sens que je vais y aller dans le désordre, tant pis. Allons-y pour La Jambe puisqu'on la voit ici. Mais si je vais être désordonnée, l'accrochage lui ne l'est pas et les différentes périodes du travail de l'artiste sont bien définies. L'"accrochage" est très esthétique (je l'avais déjà remarqué pour Miró) mais également didactique avec des affichages de textes explicites pour éclairer notre lanterne!
 


Que dire de cette jambe, qui me soit personnel et pas du copié/collé (je vais en faire pas mal) trouvé quelque part? Tiens, il n'y a d'ailleurs pas de notice sur cette jambe. La jambe est frêle et le pied au contraire lourd, massif, bien ancré sur son socle. Une petite parenthèse justement sur les socles. Il faut savoir qu'ils font partie intégrante des sculptures de Giacometti, on voit leur importance dans les sculptures ci-dessous et parfois le contraste saisissant entre la taille imposante du socle et la fragilité, la finesse des figurines.

"Le problème du socle est une de ses interrogations récurrentes tant pour des raisons pratiques qu'esthétiques. A de nombreuses reprises Giacometti transforme ses sculptures en en modifiant le socle [...]." (Christian Alandete)


Femme au chariot, vers 1945. Plâtre




Buste d'homme, 1956. Bronze
(Ou comment le corps devient socle ou vice versa)


Le thème de la tête est très présent dans l'exposition.

"Pour Giacometti, toute l'humanité se concentre dans la tête. C'est à la fois le lieu où s'exprime, la vie - le regard -, et où se devine la mort potentielle - le crâne." (Catherine Grenier).


 Grande tête, 1958. Plâtre peint (état de 1965).

"Lorsqu'il emploie ses outils de sculpteur pour dessiner sur les têtes, il le fait comme un pinceau le ferait sur une toile. Plus tard il peint les plâtres comme s'il créait des incisions. [...] Dans ce cas, la peinture sert à "animer" la sculpture. Le résultat évoque parfois les peintures corporelles tribales, ce qui rappelle l'intérêt qu'il a porté à l'art africain. D'autres fois, ses sculptures colorées rappellent plutôt les tanagras, ces figurines peintes dans l'Antiquité, ou encore l'art funéraire égyptien." (C.G.)


Tête d'homme sur socle, vers 1949-1951. Plâtre peint.



 Têtes, vers 1960-1966. Stylo bille



Simone de Beauvoir, tête, vers 1941-1945. Bronze

Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir croisent Giacometti au Dôme dès 1936, ce dont rend compte Simone de Beauvoir dans La Force de l'âge :

"Nous étions particulièrement intrigués par un homme au beau visage raboteux, à la chevelure hirsute, aux yeux avides, qui vagabondait toutes les nuits sur le trottoir, en solitaire, ou accompagné d’une très jolie femme ; il avait l’air à la fois solide comme un rocher et plus libre qu’un elfe : c’était trop. Nous savions qu’il ne faut pas se fier aux apparences et celle-ci avait trop de séduction pour que nous ne la supposions pas décevante : il était Suisse, sculpteur et s’appelait Giacometti."


Alberto Giacometti, 1957
Photo : Franz Hubmann
Source Leopold Museum

Ce n’est qu’en 1939, lorsque Sartre et Beauvoir firent, probablement chez Lipp, la connaissance de Giacometti, que ce fragment laissé en attente se trouve complété. C’est alors un long développement sur le sculpteur et l’état de ses recherches dans ces années où tous les trois se voient souvent. Ces rencontres sont interrompues en 1941 par le départ de Giacometti pour la Suisse où il reste bloqué jusqu’à la fin de la guerre.

« Pour une fois, la nature n’avait pas triché ; ce que promettait son visage, Giacometti le tenait ; à le regarder de près, d’ailleurs, il sautait aux yeux que ses traits n’étaient pas ceux d’un homme ordinaire »

(Source et suite)

 

"Pour comprendre la figure humaine, Giacometti se focalise uniquement sur la tête pendant de nombreuses années. Puis il sculpte et dessine aussi des mains, des jambes, des yeux et des nez, toujours guidé par la même volonté de saisir l’universel à travers le particulier. [...] Il a été très tôt marqué par Rodin, et Bourdelle a été son professeur à la Grande Chaumière. Mais s'il faut chercher les influences de la maturité de Giacometti, elles sont plutôt du côté de Cézanne. Dans l'Homme au gilet rouge, Cézanne étend démesurément les bras de son personnage parce que, nous dit Giacometti, c'est ce qu'il a vu de plus important. 

Giacometti procède sensiblement de la même manière, étirant d'abord des fragments de corps, un nez, un bras, une jambe, puis la figure entière.

- Deux peintres ont influencé Giacometti, Cézanne et Derain. Il y a des parallèles dans leur travail. Peut-on dire qu'ils ont une perception et une représentation du monde sensiblement proches? (MEL

Cézanne est un maître pour Giacometti, Derain un ami. Ce qu'il admire en lui c'est sa capacité de résistance, son affranchissement des mouvements et des mots d'ordre de l'époque. Dans l'un et l'autre cas, c'est la liberté irréductible des artistes qui le touche [...] dans l'indifférence des jugements extérieurs. C'est la consigne qu'il s'assigne aussi à lui-même.

Par ailleurs, ses maîtres, s'il en a, sont plutôt des anonymes originaires d'Afrique, d'Océanie, d’Égypte, du Mexique, de Byzance." (C.G.)


 Le Nez, 1947 version de 1949. Bronze


(0_0) Un peu d'humour...



 Femmes de Venise VIII et V, 1956. Plâtre peint

Restaurées avec le concours du 
Fonds Hélène et Édouard Leclerc
présentées pour la première fois au public.

"C'est un projet très important qui nous réjouit beaucoup. La Fondation Giacometti possède une collection exceptionnelle de plâtres originaux, souvent peints, mais dont beaucoup ne sont pas en état d'être présentés. Restaurer deux des Femmes de Venise, c'est remettre au jour des œuvres qui sont restées invisibles depuis plus de cinquante ans." (C.G.) 

Quelques sculptures en bronze qui ont retenu mon attention


Femme debout, 1957

 

 Buste d'homme sur socle, vers 1947



Femme assise sur socle




Quatre femmes sur socle,  1950

"La question de l'échelle est étroitement liée à celle de la distance : les mêmes choses nous apparaissent plus grandes ou plus petites en fonction de la position d'où on les regarde. D'où l'importance pour Giacometti, d'assurer à ses sculptures un mode de présentation qui ne trahisse pas cette impression d'optique. [...]
Mais il se sert aussi des dispositifs les plus divers pour placer chaque œuvre à la bonne distance et à la bonne hauteur par rapport au regard du spectateur : des plateaux, des hauts piédestaux, un chariot, des stèles, des colonnes, des tiges en métal, des cages...
Les Quatre femmes sur socle et les Quatre figurines sur piédestal*, par exemple, représentent les mêmes femmes vues de près ou de loin." (Cécilia Braschi)

*(J'ai omis de les photographier mais on peut les voir ici, au chapitre Une femme comme un arbre, une tête comme une pierre, en cliquant sur les images). Et pour un plus rapide aperçu cette photo :


 

La Clairière, 1950

"Au début des années 1950, Giacometti réalise des compositions qui, bien qu’éloignées de celles de l’époque surréaliste, en reprennent néanmoins l’esprit, opérant la rencontre improbable d’un tête et d’une figurine dans une cage, ou réunissant sur un même plateau plusieurs sculptures formant un paysage.

Ces œuvres, qu’il associe au souvenir d’une clairière ou d’une place, se proposent comme un paysage animé où les arbres sont figurés par des silhouettes de femmes et les rochers par des têtes."

La Cage, première version, 1945-1950

Quelques objets


Objet désagréable, 1931



Objet Surréaliste, 1932-2015. Bois et cuivre
Oeuvre complétée par l'artiste Martial Raysse en 2015
avec la collaboration de Francis Garcia


"En 1932, Giacometti réalise un « objet surréaliste » appartenant à la série des « Objets mobiles et muets ». Celui-ci est constitué d’un objet en bois d’apparence utilitaire, sans doute réalisé par un menuisier, adapté par l’artiste. Cet « outil » est surmonté d’un dispositif suggérant la mise en mouvement d’une roue étoilée en cuivre, placée à son extrémité.
L’œuvre est créée au même moment que Fil tendu (Fleur en danger) et Pointe à l’œil, auxquelles l’artiste l’associe dans ses carnets. Giacometti, après que l’œuvre ait été accidentée, a conservé la partie en bois dans son atelier, dans l’intention (non réalisée) de la restaurer. Il s’agit en effet d’une œuvre qu’il considère importante, comme l’attestent les nombreux dessins qui la documentent. En l’absence de documents précis pour engager une restauration fidèle, la Fondation Giacometti a demandé à l’artiste contemporain Martial Raysse de proposer une interprétation de la partie manquante, à partir des documents disponibles dans les archives. Avec la complicité de Francis Garcia, Martial Raysse a ainsi généreusement donné une nouvelle vie à ces pièces remarquables."

 Quelques photos, au fil de l'exposition


Alberto Giacometti dans la chambre de l'hôtel de Rive à Genève
avant octobre 1944
Photographie de Eli Lotar


Petites figurines dans l'atelier
octobre 1947
Photographie de Brassaï 
 

"Paris sous l’occupation, Giacometti quitte la France en 1940 pour trouver refuge en Suisse, à Genève où, dans une chambre d’hôtel transformée en atelier, il réalise des sculptures minuscules. Cette réduction du format restitue l’expérience vécue de la vue d’une figure se tenant au loin. « Je diminuais la sculpture pour la mettre à distance réelle où j’avais vue le personnage. Cette jeune fille à quinze mètres ne mesurait pas quatre-vingts centimètres, mais une dizaine. En outre, pour appréhender l’ensemble, pour ne pas me noyer dans le détail, il fallait que je sois loin. Mais les détails me gênaient toujours… Alors, je reculais de plus en plus jusqu’à disparition. »"



  
Michel Leiris alité
1957-1958

"En 1921, Giacometti est confronté de manière directe à l’expérience traumatisante de la mort, lorsqu’il assiste au décès brutal de Pieter van Meurs pendant un voyage en Italie.
Dès lors, la mort restera omniprésente dans son travail de manière plus ou moins explicite, qu’il creuse les traits d’un visage au point d’en révéler le squelette ou qu’il dessine son ami Michel Leiris alité après une tentative de suicide, tel un gisant, vivant mais pourtant presque mort."

Je me suis accordé une petite pause,
en regardant cette vidéo. Extrait



 
Jacques Dupin, vers 1965
Huile sur toile


Puis, je suis revenue en arrière, au début de l'exposition, pour revoir plus tranquillement ces œuvres qui étaient l'objet d'une "leçon" pour un groupe d'enfants.



 Femme-cuillère, 1927
Pour la voir de profil (magnifique), c'est ici





Le Couple, 1927
"L'œuvre de Giacometti est marquée par l'influence de la sculpture africaine et océanienne. Il s'y intéresse en 1926. Les deux œuvres qui l'ont fait remarqué du public pour la première fois : La Femme-cuillère et Le Couple, exposés en 1927 au Salon des Tuileries à Paris."

L'exposition se termine par l'icône L'Homme qui marche I, 1960 et de  Femme qui marche I, 1932. 

"L'Homme qui marche est une œuvre emblématique, et l'équipe du Fonds Hélène et Édouard Leclerc en a utilisé l'image pour réaliser l'affiche de l'exposition. Mais évidemment, elle n'exprime pas - loin de là! - toute la variété de l’œuvre.
[...]
Quand Giacometti crée ses "objets mobiles et muets" de la période surréaliste, ou quand il crée L'Homme qui marche, il nous confronte à une représentation paradoxale du mouvement. Dans les deux cas, il s'agit d'un mouvement potentiel, qui n'exprime pas une dynamique, mais la mobilité comme principale caractéristique de l'esprit et de l'homme. A la différence de Boccioni par exemple, il ne cherche pas à créer l'illusion du mouvement de l'homme en marche. Il est plus proche de la représentation stylisée des figures égyptiennes." (Catherine Grenier).


Bronze 180,5 x 27 x 97 cm




Femme qui marche I, 1932 (version de 1936)
Bronze 150,3 x 27,7 x 38,4 cm 

"Je pense que j'avance tous les jours. [...] Je suis certain de faire ce que je n'ai jamais fait encore et qui va rendre périmé ce que j'ai fait en sculpture jusqu'à hier soir..."
Alberto Giacometti, entretien avec Pierre Schneider, 1961.

(J'ai élaboré ce billet en m'appuyant en grande partie sur la brochure de l'exposition, l'entretien de Michel-Edouard Leclerc (MEL) avec Catherine Grenier directrice de la Fondation Giacometti et commissaire de l'exposition, Cécilia Braschi historienne de l'art et chargée de recherche à la Fondation Giacometti et, le site de la Fondation Alberto et Annette Giacometti. Également quelques textes figurant dans l'exposition, en regard des œuvres, nombreuses; celles que j'ai photographiées et que l'on peut voir ici, ne représentent  qu'une part infime de celles exposées.  Toutes les photos sont personnelles (clic droit pour les afficher et les agrandir), sauf le bronze de Simone de Beauvoir et la photo de Giacometti que j'ai insérée dans mes recherches sur Giacometti et Sartre, pour concrétiser la description de Simone de Beauvoir. Ce travail plaisir - s'il en est - m'a replongée dans ce que j'avais vu et permis de m'imprégner un peu plus de l’œuvre de cet artiste).

Rajout du 19 décembre 2015 : j'écoutais sur France Culture Laure Adler dans Hors-Champs qui recevait Yvonne Baby et celle-ci racontait une de ses rencontres avec Alberto Giacometti (anecdote : la femme hystérique). Je trouvais très intéressant ce rapprochement du "papier" de la paille dont Giacometti fit une "sculpture" et dont Yvonne Baby voyait une ressemblance avec les sculptures miniatures de l'artiste.
A écouter ici à partir de la 39e minute.